Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication (Crem, Université de Lorraine).

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  • Que faire en attendant un hypothétique dégroupage des réseaux sociaux ?

    Le Conseil National du Numerique (CNNum) défend l’idée que la recommandation algorithmique (aujourd’hui dictée par les plateformes elles-mêmes) soit ouverte à d’autres acteurs, dans l’espoir que la concurrence tire la qualité vers le haut.

    Problème : Maria Luisa Stasi observe « il est également possible que les nouveaux fournisseurs de services de recommandation de contenus se contentent de reproduire le même modèle économique des grandes plateformes de réseaux sociaux, au lieu de promouvoir des modèles diversifiés, innovants et plus respectueux des droits humains. »

    Selon elle, 3 facteurs pourraient « fortement minimiser ce risque » :

    1. Fixer des règles du jeu claires pour tous les acteurs, ce qui découragerait les modèles extractifs et encouragerait la diversité.
    2. Faciliter et soutenir les initiatives émanant de la société civile, du monde universitaire ou d’autres acteurs à but non lucratif.
    3. Soutenir l’adoption de systèmes de recommandation de contenus alternatifs et orientés vers l’intérêt public.

    Ne faudrait-il pas commencer par là ? Sans attendre une hypothétique obligation d’ouverture à l’interopérabilité qui mettra des années à se concrétiser…

    En l’état actuel des choses :

    1. Les règles du jeu permettent à des services délétères de prospérer sur la captation d’attention et de données.
    2. Le soutien aux initiatives de la société civile ou du monde universitaire est quasi-nul dans un environnement où tous les efforts sont concentrés sur le modèle “startup”, les objectifs de rentabilité et de croissance rapide.
    3. On ne peut pas parler de soutien à l’adoption d’alternatives alors que nos politiques et nos institutions s’ingénient à communiquer en priorité via les grandes plateformes incriminées, légitimant ainsi leur position dominante.

    Alors, on commence par où ?


  • La publicité (et les annonceurs) a toujours été exclue du projet : l’idée de Needle n’aurait jamais germé sans cela.

    Par bénéficiaire, j’entends les utilisateurs, les citoyens, les collectifs, les organisations… Mais pour l’heure, ce sont surtout de gentils cobayes qui essuient les plâtres avec nous, car fabriquer quelque-chose de vraiment nouveau demande beaucoup de patience et d’abnégation.

    Tu as raison, le site de Profluens fait très “startup nation” et je comprends qu’il puisse faire un peu peur. Ça fait partie des mauvaises idées induites par le cheminement auquel on nous pousse dans le monde académique dès que l’on veut sortir du labo. Pour sortir de ce modèle, j’adhère complètement à l’idée d’archipels et je te rejoins sur Framasoft. Modulo la lourde tâche de nouer et faire vivre tous ces liens.

    Je suis convaincu que Needle a des applications naturelles pour mettre en valeur les publications scientifiques qui le méritent vraiment et outiller notre sérendipité. Mais être chercheur ne suffit pas (nul n’est prophète en son pays). Peut être même au contraire : la fascination pour “le privé” est encore forte et on a bien du mal à appliquer ce qu’on professe. Il n’y a qu’à voir la faible part de PhD parmi les “ingénieurs de recherche” qui dirigent nos services universitaires, alors que l’on clame haut et fort que le doctorat est gage de solides compétences professionnelles. Ajoute à cela des jeux de pouvoirs multidimensionnels (l’université de l’invisible de Terry Pratchet est assez fidèle à la réalité) et tu comprendras que faire émerger une projet par des universitaires pour des universitaires est une vraie gageure.

    Une piste en réflexion actuellement serait de co-construire quelque chose avec des associations d’anciens. Needle pourrait en effet avoir des applications immédiates pour rapprocher les membres de ces collectifs qui - sans le avoir - se croisent sans doute sur pas mal d’information ou de ressources professionnelles. L’avantage étant que chacun ancien est un relai potentiel d’autres organisations (son employeur et/ou ses assos).


  • Ce passage me parait important :

    Si comme le suggère le dernier rapport du Forum économique mondial sur les risques globaux, la désinformation est l’une des plus grandes menaces à court terme pour l’humanité, notre capacité collective à comprendre comment elle se propage et son impact sur notre société doit être une priorité.

    Il ne nous viendrait pas à l’idée d’entraver la recherche scientifique sur la propagation des virus, ou sur l’impact du réchauffement climatique sur l’environnement. De la même manière, la recherche sur la désinformation doit pouvoir être menée sans encombre, et avec l’accès aux informations nécessaires pour en saisir la complexité. La compréhension des ressorts économiques, politiques et technologiques de la désinformation est une question de santé publique, de résilience démocratique et de sécurité nationale.

    Nous sommes au stade où la société civile n’a pas encore pris conscience du fait que sans un écosystème info-communicationnel sain, nous n’avons aucune chance de faire émerger des réponses concertées face aux grands défis (climat, santé, biodiversité, démocratie, etc). Pire : nous n’en sommes même pas au stade où l’on se préoccupe de préserver nos capacité d’analyse face à ce problème. Comme si le GIEC n’en était qu’à ses balbutiements.

    Mais je te rejoins sur le caractère incantatoire de cet appel (dont je suis signataire). Parallèlement à l’action à grande échelle, nous avons besoin de cultiver des alternatives, des démonstrations qu’un autre accès à l’information est possible. Ce à quoi je m’emploies avec needle.social (dont nous avons discuté un peu il y a quelques jours ici).















  • Effectivement, c’est sans doute une des raisons pour lesquelles je me sens mieux sur Reddit/Lemmy que sur Twitter/Mastodon. Avec le fait que le profil de l’utilisateur et sa notoriété a assez peu d’importance.

    Reste que l’utilisateur est abonné à tout, tandis qu’avec Needle l’instance applique un “filtre” qui permet à l’utilisateur d’être abonné à ce qu’il croise mais pas au reste. Avec la fédération, une instance pourrait appliquer un comportement différent et distordre l’expérience d’ensemble. L’interropérabilité avec d’autres interfaces du Fediverse ne serait pas nécessairement vertueuse.

    C’est un vrai point de questionnement.


  • Nous nous sommes tournés vers l’implémentation de [Solid](https://fr.wikipedia.org/wiki/Solid_(projet_de_web_décentralisé) par Startin’blox. Pas de compatibilité avec ActivityPub en l’état actuel.

    ActivityPub est un protocole conçu dans une approche très traditionnelle, héritée des réseaux sociaux tels que nous les connaissons. N’importe qui peut s’abonner à mes publications du moment qu’il en connait l’adresse… Et il faudrait être abonné à tout le monde sur toutes les instances pour permettre la découverte sur l’ensemble du réseau.

    Or, avec Needle, le principe fondateur repose sur le croisement : je découvre et j’ai accès à des publications lorsque celles-ci croisent les miennes. Pour cela, il faut pouvoir interroger la totalité des publications toutes instances confondues. C’est ce qui permet de découvrir des sources auxquelles on n’aurait pas eu accès autrement. C’est aussi ce qui permet de ne pas être mu par une quête d’audience : le fil n’est pas public, ce n’est pas un profil, d’ailleurs il est anonymisé. La motivation à contribuer repose sur le fait de pouvoir croiser d’autres personnes / découvrir des contenus intéressants. Si l’on veut croiser des personnes qui partagent des contenus intéressants, mieux vaut limiter son propre Fil à des contenus intéressants.

    Je ne suis pas certain que cela soit compatible avec ActivityPub. Ce qui pourrait l’être, ce sont les publications des Carnets. Au même titre qu’on peut s’abonner à leur flux RSS, un abonnement ActivityPub pourrait être envisagé. Mais ça me semble un peu pauvre comme approche.

    A moins que je n’aie manqué quelque chose. Je serais ravi qu’un spécialiste d’Activity Pub nous aide à trouver une manière pertinente de rejoindre le Fediverse.








  • Merci pour tes encouragements ! Promis, je ferai un post sur Needle prochainement.

    L’objectif est assez généraliste, je veux éviter que Needle reste confiné à une niche d’universitaires par exemple. On peut aussi bien se croiser parce qu’on partage des liens vers des papiers scientifiques, des articles sur l’actu, que son dernier coup de cœur ciné, lecture ou jeu de société.

    Il existe déjà un outil d’annotation très complet pour interagir autour d’un texte : https://web.hypothes.is/ Je trouve cela excellent, mais je ne l’utilise pas parce que c’est trop “exigeant”. Avec Needle, on est bien plus light, et donc plus inclusif. Au final, c’est complémentaire.

    Je ne connaissais pas YesWiki. Le concept est top ! Ou peut-on trouver ton site ?

    Je pense aussi qu’il y a une complémentarité possible. Needle est très proche d’un wiki dans son principe, à la différence que les contributions sont des liens - tandis qu’un Wiki est fait pour accueillir du contenu. Au final, Needle permettrait à une communauté réunie par un Wiki de mettre en partage des liens issus du Wiki mais aussi d’ailleurs afin de nourrir les interactions.

    Tout cela reste à défricher !

    Disclaimer : depuis quelques mois, je suis président-fondateur d’une start-up tournée vers la valorisation de Needle. Lorsqu’on n’est pas dev soi-même, difficile d’initier et faire vivre un projet libre. En tous cas, je n’ai pas trouvé comment faire. Et puis dans le milieu académique, les financements accessibles sont très très orientés vers la création d’activité économique. Ça peut être rédhibitoire pour certaines puristes. Pour ma part j’avance avec pragmatisme : ma priorité est de diffuser mon invention, parce que je suis convaincu que c’est une fonction qui manque au web d’aujourd’hui.


  • Je me souviens encore de ce billet du Framablog, merci de le réactiver :-)

    J’ai tendance à trouver dommage que le Fediverse s’organise autour d’applications qui reproduisent les fonctionnalités des services que l’on critique. D’un autre côté, il faut peut être en passer par là pour commencer à imaginer autre-chose ?

    La métaphore du tabagisme passif me paraît très juste. Si l’on va dans ce sens, quand bien même on produirait du tabac bio et éthique, fumer resterait hautement cancérigène. A mon sens, on peut bien rendre open source et distribués nos réseaux sociaux, leurs fonctionnalités continueront de focaliser notre attention sur des anecdotes immédiates, dans des bulles de filtre et sur nos petits nombrils. C’est un problème qui va au delà de la ligne éditoriale.

    J’apprécie tout de même Lemmy, parce que Reddit n’est pas fonctionnellement aussi délétère que Twitter (dont s’inspire Mastodon). La place des votes reste problématique. Lorsque le volume d’information échangé augmente, il faut trouver des manières de la hiérarchiser. Si ce n’est pas par les votes, reste à trouver comment.

    Toutes ces questions me taraudent quotidiennement, puisque depuis quelques années, je porte le projet d’une technologie alternative pour partager du contenu en ligne : https://needle.univ-lorraine.fr (tu peux tester, la beta a ouvert il y a moins de 15 jours). Avec une approche très différente de ce que l’on connaît, l’avantage est que cela se révèle assez complémentaire en pratique puisque Needle met l’accent sur le temps long. En revanche, la volonté initiale d’être distribué complique sérieusement les développements tant les technologies sont encore jeunes… Et tant elles sont pensées avec le modèle des réseaux sociaux hérité de Facebook, Twitter et compagnie.