Imaginons lâun de nos concitoyens, de retour en France aprĂšs un long pĂ©riple de cinq mois sans connexion Ă Internet. Il aurait Ă©chappĂ© aux Ă©lections europĂ©ennes et Ă la dissolution de lâAssemblĂ©e nationale, aux lĂ©gislatives qui ont vu naĂźtre le Nouveau front populaire et « lâarc rĂ©publicain » contre le Rassemblement national (RN). Il nâaurait pas vĂ©cu la trĂȘve des JO, ni les 51 jours sans gouvernement⊠Et le voilĂ plantĂ© devant son poste de tĂ©lĂ©vision en ce 1er octobre 2024 Ă Ă©couter le discours de politique gĂ©nĂ©rale de Michel Barnier.
Il lui faudrait ĂȘtre sacrĂ©ment devin pour en dĂ©duire les Ă©pisodes prĂ©cĂ©dents tant la politique du Premier ministre est loin dâune cohabitation avec un chef de lâEtat dans lâopposition. AprĂšs Edouard Philippe, Jean Castex, Elisabeth Borne et Gabriel Attal, Michel Barnier sâinscrit pleinement dans la doctrine libĂ©rale dâEmmanuel Macron. Avec une teinte plus conservatrice car il doit Ă©galement compter avec le RN de Marine Le Pen qui dĂ©cidera ou non de la survie de ce gouvernement.
La situation inĂ©dite de crise dĂ©mocratique et Ă©conomique dont il hĂ©rite le pousse toutefois Ă se dĂ©marquer de ses prĂ©dĂ©cesseurs. Alternatives Economiques revient sur dix annonces qui vont de la franche rupture Ă la lĂ©gĂšre inflexion par rapport Ă la politique menĂ©e jusquâici par le chef de lâEtat.
1/ Augmenter enfin les impĂŽts
La rumeur courait, le Premier ministre lâa confirmĂ©e : une partie de lâeffort de maĂźtrise des comptes publics des prochaines annĂ©es passera par des hausses dâimpĂŽts. Cela reprĂ©sente un changement de braquet important par rapport aux sept annĂ©es de macronisme profondĂ©ment antifiscales.
Michel Barnier a dâemblĂ©e relativisĂ© la situation de la dette publique française : « Si lâon nây prend pas garde, elle mettra notre pays au bord du prĂ©cipice. » Le futur est de rigueur, donc la France nâest pas aujourdâhui en faillite, et ne se rapprochera du prĂ©cipice que si lâon ne fait rien.
Difficile dâĂȘtre en dĂ©saccord avec ce constat. Oui, le nouveau gouvernement hĂ©rite dâune situation fragilisĂ©e. Selon les derniĂšres donnĂ©es de lâInsee, la dette publique française sâĂ©tablissait Ă la fin juin dernier Ă 3 228,4 milliards dâeuros, soit 112 % du PIB. Avec un dĂ©ficit public dĂ©sormais prĂ©vu par Bercy autour de 6 % cette annĂ©e et autant lâan prochain, notre dette va continuer Ă progresser. AprĂšs les 5,5 % de lâan dernier, « si lâon nây prend pas garde » la pente de la dette peut devenir dangereuse. A lire Alternatives Economiques n°451 - 10/2024
Mais, oui encore, la situation reste pour lâinstant gĂ©rable. Les crĂ©anciers demandent toujours entre 2,5 et 3 fois plus de dette française quâil nây a dâoffre. Les acheteurs asiatiques sont en recul, mais les banques et les compagnies dâassurance ont pris le relais. Le Premier ministre a soulignĂ© le poids de la charge dâintĂ©rĂȘt de la dette (51 milliards) mais il reste autour de 1,8 % du PIB, largement en dessous de sa moyenne historique (2,4 %).
Afin de redresser la situation, Michel Barnier a donnĂ© plusieurs indications fortes. Dâabord, lâobjectif est de ramener le dĂ©ficit Ă 5 % du PIB lâan prochain, donc gagner 1 point de PIB, 30 milliards dâeuros en statique, et 30 milliards de plus pour couper la tendance actuelle Ă la hausse, soit 60 milliards au total prĂ©cise-t-on du cĂŽtĂ© de Bercy. Le gouvernement va, deuxiĂšme annonce, se donner jusquâĂ 2029 pour tenter de revenir vers un dĂ©ficit Ă 3 % du PIB, soit cinq ans Ă nĂ©gocier avec la Commission europĂ©enne.
Pour autant, le chemin sera difficile et il impliquera un effort portant aux deux tiers sur les dĂ©penses (lâEtat pour 20 milliards, le reste sur la sĂ©curitĂ© sociale et les collectivitĂ©s locales) et un tiers sur les recettes. Câest le retour des hausses dâimpĂŽts. Pour qui ? Les grandes et trĂšs grandes entreprises qui font des profits importants seront mises Ă contribution ainsi que les Français les plus fortunĂ©s avec une contribution exceptionnelle, en mĂȘme temps que sera menĂ©e la lutte contre la fraude fiscale et sociale.
Bruno Le Maire nous a laissĂ©s dans une situation budgĂ©taire telle que la France ne peut plus Ă©chapper Ă une cure dâaustĂ©ritĂ© qui dĂ©marre en 2025 et se poursuivra ensuite. Le gouvernement va nous lâadministrer Ă dose rĂ©guliĂšre mais il faudra attendre la prĂ©sentation du budget la semaine prochaine pour savoir prĂ©cisĂ©ment quel goĂ»t aura la potion et dans quelle mesure la justice sociale en sera lâun des ingrĂ©dients.
Christian Chavagneux 2/ Donner un (léger) coup de pouce au Smic
Enfin ! Pour la premiĂšre fois depuis douze ans, le Smic va progresser plus vite que prĂ©vu sur dĂ©cision dâun gouvernement. Michel Barnier a en effet annoncĂ© que ce salaire minimum interprofessionnel de croissance sera revalorisĂ© de 2 % dĂšs le 1er novembre.
Certes, ce mini-coup de pouce a des airs dâ« os Ă journalistes » puisque cette annonce a toutes les chances dâĂȘtre reprise par tous les mĂ©dias â Alternatives Economiques nây Ă©chappe pas â alors que son importance est plutĂŽt marginale. En effet, cette hausse nâest quâune anticipation dâune revalorisation qui aurait eu lieu mĂ©caniquement le 1er janvier 2025.
Mais, dâune part, pour celles et ceux qui comptent les centimes Ă la fin du mois, ces deux mois de gagnĂ©s sont toujours bons Ă prendre. Et, surtout, cette hausse remet en cause la doctrine dâEmmanuel Macron sur le sujet. Jusque-lĂ , le PrĂ©sident avait suivi Ă la lettre les conseils du groupe dâexperts sur le Smic, qui, annĂ©e aprĂšs annĂ©e, conseille aux gouvernements successifs de ne pas donner de coup de pouce au salaire minimum au nom de la compĂ©titivitĂ© de lâĂ©conomie française.
Ainsi, les seize revalorisations qui ont eu lieu depuis juillet 2012 Ă©taient toutes liĂ©es aux augmentations automatiques qui sont prĂ©vues par la loi pour tenir compte de lâinflation. En creux, cette anticipation de la revalorisation est un aveu implicite de lâinsuffisance du niveau du Smic pour vivre dignement.
Les autres annonces sur les revenus sâinscrivent dans la continuitĂ© de la politique macroniste. Ainsi, le gouvernement compte inciter les employeurs Ă utiliser encore davantage les dispositifs dâĂ©pargne salariale pour faire un geste envers leurs salariĂ©s. Un choix regrettable car les dĂ©fauts de ces outils sont nombreux : les primes ponctuelles qui les caractĂ©risent sont souvent versĂ©es au dĂ©triment de la hausse durable des salaires, elles sont trĂšs inĂ©galitaires et, surtout, elles assĂšchent les recettes de la SĂ©curitĂ© sociale car elles sont largement exonĂ©rĂ©es de cotisations sociales.
Enfin, le gouvernement promet de revoir le systĂšme des allĂšgements de charges sur les bas salaires qui conduit, selon lâexĂ©cutif, Ă une « smicardisation » du pays. Un chantier qui sera sensible car le patronat tient Ă ces aides fiscales qui se chiffrent dĂ©sormais Ă prĂšs de 80 milliards dâeuros par an.
Vincent Grimault 3/ Rouvrir le dialogue sur un aménagement des retraites
Pour le prĂ©cĂ©dent gouvernement, la rĂ©forme des retraites Ă©tait un dossier clos. Michel Barnier lâa rouvert. « Il faudrait reprendre le dialogue », a-t-il dĂ©clarĂ©. Il faut dire que le sujet avait Ă©tĂ© central lors des lĂ©gislatives. Le Nouveau front populaire avait fait de lâabrogation de la rĂ©forme lâune des prioritĂ©s.
Ce 1er octobre, Michel Barnier est loin dâavoir annoncĂ© un retour en arriĂšre. Mais « certaines limites de la loi qui a Ă©tĂ© votĂ©e le 15 avril 2023 peuvent ĂȘtre corrigĂ©es, a-t-il reconnu. Les questions des retraites progressives, de lâusure professionnelle, de lâĂ©galitĂ© entre les femmes et les hommes face Ă la retraite mĂ©ritent mieux que des fins de non-recevoir. » Sur ces sujets, lâexĂ©cutif a invitĂ© les partenaires sociaux à « rĂ©flĂ©chir Ă des amĂ©nagements raisonnables et justes de la loi ».
Les organisations syndicales, que Michel Barnier a rencontrĂ©es avant son discours, ont Ă©tabli une liste de mesures pour amĂ©liorer la rĂ©forme. La premiĂšre dâentre elles, revenir sur lâĂąge lĂ©gal de dĂ©part en retraite, portĂ© Ă 64 ans en 2023, a peu de chance dâĂȘtre retenue. MĂȘme sâil ne lâa pas dit stricto sensu, Michel Barnier a donnĂ© le ton en fixant un cadre : « Il est impĂ©ratif de prĂ©server lâĂ©quilibre durable de notre systĂšme de retraites par rĂ©partition. » Au vu de ses propos sur la rĂ©duction des dĂ©penses, on imagine mal le chef du gouvernement faire le choix dâaugmenter les recettes du systĂšme de retraites.
Les discussions avec les partenaires sociaux qui doivent avoir lieu dans les prochaines semaines promettent dâĂȘtre vives. Dâautant que le Premier ministre les a Ă©galement invitĂ©s Ă nĂ©gocier sur lâemploi des seniors et sur lâassurance chĂŽmage.
Audrey FisnĂ©-Koch 4/ En finir avec le soutien inconditionnel Ă lâapprentissage
« Nous voulons continuer de soutenir lâapprentissage, mais en Ă©vitant les effets dâaubaine », a dĂ©clarĂ© le Premier ministre. Et câest un changement notable car depuis son arrivĂ©e au pouvoir, Emmanuel Macron a fait de lâapprentissage un totem. NâhĂ©sitant pas Ă y consacrer un « pognon de dingue » (entre 22 et 25 milliards dâeuros pour 2024, dâaprĂšs le chercheur Bruno Coquet). Tout ça, pour atteindre lâobjectif du million dâapprentis.
Cela a certes contribuĂ© Ă faire baisser le taux de chĂŽmage (et la productivitĂ©, par la mĂȘme occasion), mais cette politique a aussi crĂ©Ă© dâimportants effets dâaubaine et a majoritairement profitĂ© aux Ă©tudiants de niveau Bac+2 Ă Bac+5. MĂȘme son effet sur lâinsertion professionnelle est aujourdâhui contestĂ©.
« Nous ne pourrons pas dĂ©penser plus. Il faut dĂ©penser mieux », a donc prĂ©venu Michel Barnier. Reste Ă savoir sâil mettra bel et bien fin Ă lâopen bar des aides aux entreprises1 et quâil orientera les dĂ©penses vers des politiques dâemploi efficaces et surtout, plus justes.
A ce propos, le chef du gouvernement a donnĂ© quelques pistes en Ă©voquant les dispositifs dâinsertion par lâactivitĂ© Ă©conomique (IAE), le travail adaptĂ© notamment pour les personnes en situation de handicap et les expĂ©rimentations telles que les « territoires zĂ©ro chĂŽmeur ». « Ils donnent des rĂ©sultats et doivent ĂȘtre encouragĂ©s », sâest-il fĂ©licitĂ©.
La dĂ©marche sâinscrirait Ă contre-courant de la revue de dĂ©penses envoyĂ©e Ă Gabriel Attal avant la dissolution et rĂ©alisĂ©e par lâInspection gĂ©nĂ©rale des affaires sociales (IGAS) et lâInspection gĂ©nĂ©rale des finances (IGF) qui proposaient des coupes dans ces mĂȘmes politiques dâemploi.
Pour le reste, Michel Barnier sâinscrit dans la continuitĂ© de la politique de workfare entamĂ©e par ses prĂ©dĂ©cesseurs macronistes. Il a ainsi tenu Ă confirmer la gĂ©nĂ©ralisation de la rĂ©forme du RSA, qui conditionne lâallocation Ă quinze heures dâactivitĂ©. « Le RSA ne doit pas ĂȘtre uniquement un filet de sĂ©curitĂ©. Nous devons en faire un tremplin vers lâinsertion, un nouveau contrat social fait du droit dâĂȘtre aidĂ© et du devoir de chercher, vraiment, un travail. »
A. F.-K. 5/ ReconnaĂźtre les PremiĂšres lignes
Une « grande loi infirmiĂšres infirmiers » pour reconnaĂźtre « leur expertise et leurs compĂ©tences » et leur donner « un rĂŽle Ă©largi dans la prise en charge des patients », a annoncĂ© Michel Barnier. Et ce, dans le but dâaccĂ©lĂ©rer lâaccĂšs aux soins. Cette logique pourrait mĂȘme ĂȘtre Ă©tendue « aux pharmaciens et aux kinĂ©sithĂ©rapeutes ».
Question : comment ces nouvelles compĂ©tences seront-elles valorisĂ©es financiĂšrement ? Et quelle durĂ©e dâĂ©tudes y sera associĂ©e ?
A condition de nâĂȘtre pas un marchĂ© de dupes, cette mesure va plutĂŽt dans le bon sens. Il faudra voir aussi quelle sera son articulation avec le mĂ©tier dâinfirmiĂšre de pratique avancĂ©e (IPA), chargĂ©e elle aussi de soulager le mĂ©decin dans le suivi des patients chroniques notamment. Mais le dĂ©veloppement de ce nouveau mĂ©tier achoppe sur une trop faible valorisation financiĂšre.
Dans la mĂȘme veine, le Premier ministre a aussi Ă©voquĂ© un « programme Hippocrate » : les internes français et Ă©trangers sâengageraient Ă lâissue de leurs Ă©tudes Ă exercer dans des territoires oĂč lâon manque de mĂ©decins. Pour le reste, le locataire de Matignon nâest pas allĂ© jusquâĂ vouloir rĂ©guler lâinstallation des mĂ©decins, comme le demande un groupe de travail transpartisan.
Il sâest prononcĂ© en faveur de la poursuite de la politique menĂ©e pour dĂ©gager du temps mĂ©dical : multiplier les assistants mĂ©dicaux, les bus mĂ©dicaux, les regroupements de mĂ©decins, la tĂ©lĂ©mĂ©decine, lâintelligence artificielle et le cumul emploi-retraite pour faire revenir au charbon les mĂ©decins retraitĂ©s.
A lâhĂŽpital non plus, rien de nouveau sous le soleil : il sâagit de gĂ©nĂ©raliser le service dâaccĂšs aux soins (SAS) qui impose dâappeler le 15 avant de se rendre aux urgences, afin de ne pas les encombrer ; dâorganiser la complĂ©mentaritĂ© entre la ville et lâhĂŽpital, un mantra vague avec lequel tout le monde sera dâaccord, et, thĂšme cher Ă la droite, de mieux organiser la complĂ©mentaritĂ© entre lâoffre publique et lâoffre privĂ©e.
Le Premier ministre veut aussi « dĂ©bureaucratiser » en rĂ©duisant les formalitĂ©s pour les mĂ©decins, et espĂšre ainsi augmenter de 15 % le temps dĂ©diĂ© aux consultations. A lâhĂŽpital, câest lâintelligence artificielle qui permettra de faire diminuer la paperasse.
Pas dâinflexion notoire sur le dossier santĂ©, mais les mots talisman de sa famille politique et aucune annonce de nouveaux moyens. LâamĂ©lioration de lâaccĂšs aux services publics est manifestement, pour le Premier ministre, uniquement une question dâefficacitĂ© et de meilleure organisation.
CĂ©line Mouzon 6/ Freiner sur lâĂ©olien
DĂ©velopper les Ă©nergies renouvelables, oui, mais il faudra mieux en mesurer les impacts et spĂ©cialement ceux des Ă©oliennes. Rares sont les objets industriels dont les effets Ă©cologiques et sociaux soient plus documentĂ©s et mieux maĂźtrisĂ©s et ce propos du Premier ministre pourrait surtout exprimer une volontĂ© dâen remettre en cause le dĂ©ploiement, comme le veulent la droite LR et le RN.
Jusquâici, la politique suivie par le gouvernement Ă©tait plus ou moins conforme Ă lâavis des experts : quelle que soit lâoption retenue sur le nuclĂ©aire, la dĂ©carbonation du systĂšme Ă©nergĂ©tique passe obligatoirement par un dĂ©ploiement accĂ©lĂ©rĂ© des installations dâĂ©lectricitĂ© renouvelable de puissance, soit les parcs Ă©oliens terrestres et marins et le solaire au sol. Une remise en cause de cette politique marquerait un tournant majeur et dĂ©vastateur.
Au chapitre de lâĂ©cologie, le discours de politique gĂ©nĂ©rale du nouveau Premier ministre se place dans la continuitĂ© des prĂ©cĂ©dents gouvernements. Une ambition affichĂ©e : « dire la vĂ©ritĂ© au Français sur la dette Ă©cologique », « ne pas sacrifier lâavenir au prĂ©sent », etc. Mais sans annonces Ă la hauteur du sujet.
Sont Ă©voquĂ©s pĂȘle-mĂȘle une Ă©niĂšme concertation sur lâeau sans objectif prĂ©cis, un rappel de la vocation productive de lâagriculture et un appel Ă la « simplification » des normes dans ce domaine. Et bien entendu, aucune rĂ©ponse sur la maniĂšre de dĂ©gager de lâordre de 60 milliards dâeuros par an dâinvestissements privĂ©s et publics pour se mettre sur la trajectoire de sortie des fossiles inscrite dans la loi.
Antoine de Ravignan 7/ Logement : remettre en cause lâobjectif ZĂ©ro artificialisation nette
« Nous devons faire Ă©voluer de maniĂšre pragmatique et diffĂ©renciĂ©e la rĂ©glementation âzĂ©ro artificialisation netteâ (ZAN) pour rĂ©pondre aux besoins essentiels de lâindustrie et du logement », a soulignĂ© Michel Barnier. Une rupture majeure, alors que depuis 2021, date de son adoption, les gouvernements successifs dâEmmanuel Macron avaient tenu bon sur cet objectif.
Le ZAN fixe essentiellement le principe quâen 2050, toute nouvelle construction sur de nouvelles terres est interdite, sauf Ă rendre Ă la nature une surface Ă©quivalente. De quoi, effectivement, remettre en cause les politiques usuelles de construction par Ă©talement urbain, en particulier de pavillons individuels, gourmands en espace. Et inviter Ă investir dâautres moyens de produire du logement, comme la rĂ©sorption des logements vacants ou la « densification douce » (construction dans les parcelles vĂ©gĂ©tales des zones pavillonnaires).
Mais la crise profonde de la construction semble avoir eu raison de ces arguments, pourtant cohĂ©rents avec les propositions de la convention citoyenne pour le climat et les engagements europĂ©ens de la France. Le risque, dĂ©sormais, est que se rĂ©veillent les Ă©goĂŻsmes locaux, chacun plaidant sa spĂ©cificitĂ© pour continuer Ă artificialiser en attendant que ce soit les autres qui fassent lâeffort de sobriĂ©tĂ©.
EmportĂ© par son Ă©lan dĂ©rĂ©gulateur, le Premier ministre a Ă©galement annoncĂ© un assouplissement des normes de construction (comme lâavait dĂ©jĂ fait la loi Elan en 2019 concernant lâaccessibilitĂ©) et de rĂ©habilitation.
Il a par ailleurs prĂ©sentĂ© comme une mesure de « justice sociale » le principe selon lequel « les bailleurs doivent pouvoir rĂ©examiner rĂ©guliĂšrement la situation de leurs locataires afin dâadapter les loyers Ă leurs ressources », et proposĂ© de « donner plus de pouvoir aux maires dans lâattribution et la priorisation des logements sociaux sur leur territoire ». Deux idĂ©es dĂ©jĂ avancĂ©es dans le projet de loi Kasbarian (du nom du prĂ©cĂ©dent ministre du Logement), qui avait fait lâunanimitĂ© contre lui des acteurs associatifs et du secteur du logement social avant dâĂȘtre stoppĂ© net par la dissolution.
Xavier Molénat 8/ Mieux exécuter les OQTF
Pas de suppression de lâaide mĂ©dicale dâEtat, pas de prĂ©fĂ©rence nationale dans lâattribution des prestations sociales, bref, pas de reprise des mesures de la loi immigration censurĂ©es par le Conseil constitutionnel en janvier dernier : Michel Barnier nâa pas embrayĂ© sur les idĂ©es dĂ©fendues par son ministre de lâIntĂ©rieur, Bruno Retailleau, et le RN.
Une nouveautĂ© cependant : son gouvernement facilitera « la prolongation exceptionnelle des Ă©trangers en situation irrĂ©guliĂšre pour mieux exĂ©cuter les OQTF [obligations de quitter le territoire français, dĂ©livrĂ©es Ă des Ă©trangers en situation irrĂ©guliĂšre, NDLR] ». Autrement dit, il veut Ă©tendre Ă plus des 90 jours maximum aujourdâhui prĂ©vus par la loi, la durĂ©e de la rĂ©tention. Cette dĂ©rogation est aujourdâhui possible, Ă 210 jours, pour les seuls individus condamnĂ©s pour terrorisme.
LâidĂ©e de cette extension vient en fait dâune proposition de loi dĂ©posĂ©e par la Droite rĂ©publicaine (ex-LR), qui invoque dans lâexposĂ© des motifs le fĂ©minicide de Philippine par un Ă©tranger sous OQTF tout juste libĂ©rĂ© du centre de rĂ©tention. La Droite rĂ©publicaine propose dâĂ©tendre Ă 135 jours la durĂ©e maximale de la rĂ©tention, et dâĂ©tendre aux Ă©trangers condamnĂ©s pour un crime (au lieu dâactes terroristes), la durĂ©e de 210 jours.
ProblĂšme : en juin 2011, le Conseil constitutionnel avait estimĂ© que la durĂ©e de rĂ©tention ne pouvait excĂ©der six mois. A voir sâil reviendra sur cette dĂ©cision.
Tout en prĂ©tendant « sortir lâimmigration de lâimpasse idĂ©ologique » et aborder le sujet avec « luciditĂ© et pragmatisme », Michel Barnier se situe dans la droite ligne des prĂ©cĂ©dents gouvernements : il veut accĂ©lĂ©rer le traitement des demandes dâasile, Ă©loigner plus dâĂ©trangers, maintenir un contrĂŽle aux frontiĂšres extĂ©rieures de la France « aussi longtemps que nĂ©cessaire », alors quâil sâagit dâune mesure dĂ©rogatoire aux accords de Schengen, tout en invoquant â au grand dam de Marine Le Pen â le trĂšs rĂ©pressif Pacte asile et migration adoptĂ© au printemps par lâUnion europĂ©enne.
Il poursuivra aussi la politique menĂ©e par le prĂ©cĂ©dent ministre de lâIntĂ©rieur, GĂ©rald Darmanin, qui a consistĂ© Ă conditionner lâoctroi de visas Ă des Ă©trangers Ă la dĂ©livrance de laissez-passer consulaires par leur pays.
C. M. 9/ Sécurité : sus aux jeunes
Michel Barnier a placĂ© en troisiĂšme position le chantier de la « sĂ©curitĂ© au quotidien ». A suivre le Premier ministre, ce sont surtout les jeunes dont la « violence rend impossible la vie de quartiers entiers » qui pourraient ĂȘtre concernĂ©s par les rĂ©formes du Code pĂ©nal Ă venir. A commencer par la possibilitĂ© de faire juger les mineurs de plus de seize ans en comparution immĂ©diate pour des « actes graves dâatteinte Ă lâintĂ©gritĂ© des personnes », plutĂŽt que par la justice des mineurs, qui a lâhabitude de prendre le temps dâexaminer les cas qui lui sont soumis.
Lâexcuse de minoritĂ©, qui rĂ©duit de moitiĂ© le quantum des peines encourues serait aussi revisitĂ©e, probablement en reprenant la rĂ©flexion de Gabriel Attal qui, en juin dernier, souhaitait inverser lâobligation de motivation par les juges. PlutĂŽt que de motiver dans son jugement la levĂ©e de lâexcuse, il devrait motiver pourquoi il en fait bĂ©nĂ©ficier le condamnĂ©âŠ
Tout sent lâurgence dans cette partie du discours : urgence Ă condamner, urgence Ă exĂ©cuter les peines. PlutĂŽt des peines plus courtes, pourvu quâelles soient rapidement et complĂštement exĂ©cutĂ©es par les condamnĂ©s. Le Premier ministre nâa pas prĂ©cisĂ© les moyens dâune telle rĂ©forme de la pratique judiciaire : rĂ©forme du Code pĂ©nal, du Code de procĂ©dure, augmentation des moyens des tribunaux et de lâadministration pĂ©nitentiaire.
Enfin, Michel Barnier compte sur la « mĂ©thode des Jeux olympiques » pour rassurer les citoyens. De fait, la prĂ©sence massive de forces de lâordre a fait baisser la dĂ©linquance sur les sites proches des JO. Mais câest au prix dâun effort sans prĂ©cĂ©dent de dizaines de milliers de policiers et des gendarmes (tous les congĂ©s ayant Ă©tĂ© refusĂ©s pendant cette pĂ©riode), renforcĂ©s par la sĂ©curitĂ© privĂ©e.
LĂ encore, Michel Barnier rejoint Emmanuel Macron et GĂ©rald Darmanin qui exigeaient de « voir du bleu » dans lâespace public en crĂ©ant des brigades nouvelles. Encore faudrait-il y mettre des moyens⊠massifs.
Hervé Nathan 10/ Nouvelle-Calédonie : refroidir la marmite, mais pas trop
Michel Barnier a fait le geste quâEmmanuel Macron et Gabriel Attal avaient refusĂ© de faire aprĂšs les Ă©meutes en Nouvelle-CalĂ©donie : tuer le dĂ©gel du corps Ă©lectoral, qui, sous prĂ©texte de respecter lâĂ©galitĂ© des citoyens devant le vote, condamnait la communautĂ© kanak Ă ĂȘtre minoritaire dans son pays. Le projet de loi constitutionnelle adoptĂ© par lâAssemblĂ©e et le SĂ©nat ne sera donc pas soumis au CongrĂšs.
Une satisfaction pour les partisans de lâindĂ©pendance, une claque pour lâex-majoritĂ© macroniste Ă lâAssemblĂ©e et la droite au SĂ©nat, qui avaient portĂ© ce projet. Reste dĂ©sormais Ă rechercher « un consensus politique sur lâavenir institutionnel » de la Nouvelle-CalĂ©donie.
Matignon, avec un ministre de lâOutre-mer qui lui est directement rattachĂ©, reprend la main sur le dossier, au dĂ©triment du ministĂšre de lâIntĂ©rieur. La prĂ©sidente de lâAssemblĂ©e et le prĂ©sident du SĂ©nat sont envoyĂ©s aux antipodes pour une « mission de concertation » rapide.
Câest sans doute lĂ , la limite de lâouverture : on sait quâen Nouvelle-CalĂ©donie, câest le temps quâil ne faut pas compter. Et sur place, les militants attendent surtout le retour de dĂ©portation de leurs leaders accusĂ©s dâavoir fomentĂ© les troubles.
LâAllemagne et la Belgique nâont pas autant dâindustrie nuclĂ©aire, on nâa pas besoin dâautant et aussi vite quâeux du renouvelable.
Au moment dâĂ©crire ce commentaire, la France utilise 98% dâĂ©nergie bas carbone, lâAllemagne 68%, et la Belgique 84%, et on exporte quand mĂȘme.
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