Le ministĂšre de l’enseignement supĂ©rieur vient de rappeler Ă  l’ordre le lycĂ©e Stanislas, dans un courrier que Mediapart s’est procurĂ©, Ă©voquant « un contournement » de Parcoursup. Selon des documents que nous avons consultĂ©s, le fils aĂźnĂ© de la ministre de l’Éducation nationale, admis en prĂ©pa dans cet Ă©tablissement l’an dernier, a bĂ©nĂ©ficiĂ© de ce systĂšme « maison » qui contrevient au principe d’égalitĂ© des chances.


L’énergie mise par la ministre de l’Éducation nationale Ă  dĂ©fendre Stanislas, au lendemain de sa nomination, devient de plus en plus choquante. D’aprĂšs des informations recueillies par Mediapart, le fils aĂźnĂ© d’AmĂ©lie OudĂ©a-CastĂ©ra, 17 ans, actuellement en classe prĂ©paratoire dans cet Ă©tablissement parisien catholique huppĂ©, a bĂ©nĂ©ficiĂ© d’un systĂšme de « contournement » des rĂšgles de Parcoursup.

Chaque annĂ©e, 600 000 lycĂ©en·nes (du public comme du privĂ©) se plient Ă  cette procĂ©dure casse-tĂȘte, et doivent formuler des vƓux pour des formations post-Bac, puis attendre avec angoisse de voir laquelle les accepte. Mais tout le monde n’est pas soumis Ă  la mĂȘme enseigne.

Dans leur rapport, remis cet Ă©tĂ© Ă  Gabriel Attal (alors ministre de l’Éducation nationale) et gardĂ© secret jusqu’à sa publication par Mediapart le 14 janvier, les inspecteurs gĂ©nĂ©raux ayant menĂ© l’enquĂȘte sur Stanislas dĂ©noncent une forme d’arrangement entre l’établissement et certain·es de ses Ă©lĂšves de Terminale souhaitant intĂ©grer ses prestigieuses classes prĂ©paratoires.

Le schĂ©ma ? Avant mĂȘme que la procĂ©dure officielle de Parcoursup ne dĂ©marre, certain·es Ă©lĂšves de Stanislas obtiennent « la garantie d’ĂȘtre admis », selon les inspecteurs. « En Ă©change », elles et ils « sont incitĂ©s Ă  renoncer » à formuler d’autres souhaits sur Parcoursup – Ă  rebours des recommandations de l’Éducation nationale, qui conseille aux lycĂ©en·nes de multiplier les vƓux (par exemple une « prĂ©pa » à Henri IV en vƓu N°2, Ă  Franklin en vƓu N°3, afin de maximiser ses chances et garder une libertĂ© de choix).

Avec les « pratiques » en cours Ă  Stanislas, « contraires aux principes et aux rĂšgles » de Parcoursup censĂ©es favoriser la transparence et l’égalitĂ© de traitement des candidatures, l’élĂšve dispose d’une place au chaud. Quant Ă  l’établissement, il obtient l’assurance de ne pas perdre de bons profils dĂ©jĂ  acquis Ă  « l’esprit Stan ». C’est gagnant-gagnant. Sauf Ă©videmment pour les Ă©lĂšves du « dehors », qui croient encore Ă  l’égalitĂ© des chances et ne bĂ©nĂ©ficient d’aucun coupe-file.

38 Ă©lĂšves de « Stan » ont formulĂ© un vƓu unique

Les inspecteurs ont ainsi bondi devant des chiffres tirĂ©s de la base nationale 2023 de Pacoursup : au printemps dernier, sur les 41 lycĂ©ens en France qui ont pris le risque Ă©tonnant de formuler un vƓu unique pour une prĂ©pa du lycĂ©e qu’ils frĂ©quentaient dĂ©jĂ , 38 Ă©taient en Terminale Ă  « Stan »  Aux yeux des inspecteurs gĂ©nĂ©raux, cette bizarrerie statistique atteste du caractĂšre « trĂšs isolé » des pratiques ayant cours dans ce fleuron de l’enseignement catholique de la capitale.

Le rapport ne livre aucun nom d’élĂšve. Mais d’aprĂšs nos informations, parmi ces 38 candidat·es de 2023, se trouvait le fils aĂźnĂ© d’AmĂ©lie OudĂ©a-CastĂ©ra, alors excellent Ă©lĂ©ment de Terminale – il a entre-temps obtenu une mention trĂšs bien au Bac –, scolarisĂ© dans la « maison » depuis sa moyenne section de maternelle. Sur Parcoursup, au printemps dernier, il a indiquĂ© comme seul vƓu d’ĂȘtre intĂ©grĂ© dans une prĂ©pa HEC (aussi dite ECG) Ă  « Stan ».

Il a formulĂ© prĂ©cisĂ©ment quatre « sous-voeux », avec ou sans internat, avec l’option Ă©co (ESH) ou histoire (HGG). Rien d’autre, en dehors de Stanislas. Une stratĂ©gie risquĂ©e pour le commun des mortels, mais lui a bien Ă©tĂ© sĂ©lectionnĂ©, parmi plus de 2 000 candidatures enregistrĂ©es.

Comme d’autres familles, la famille [de la ministre] a suivi la procĂ©dure prĂ©vue par Stanislas.

Entourage d’AmĂ©lie OudĂ©a-CastĂ©ra

QuestionnĂ©e sur le fait que son fils ait bĂ©nĂ©ficiĂ© d’un « contournement » des rĂšgles, la ministre de l’Éducation nationale ne conteste pas directement ce terme, employĂ© par l’inspection gĂ©nĂ©rale dont elle a dĂ©sormais la tutelle. Mais elle fait rĂ©pondre par son entourage que sa famille « a suivi [
] chacune des Ă©tapes prĂ©vues par Parcoursup », et surtout qu’elle a, « comme d’autres familles », « suivi la procĂ©dure prĂ©vue par Stanislas ». Une maniĂšre de renvoyer la responsabilitĂ© vers l’établissement catholique.

Car son entourage doit bien concĂ©der que son fils aĂźné « a reçu un avis favorable de Stanislas » à l’issue « du conseil de classe du deuxiĂšme trimestre », c’est-Ă -dire avant le dĂ©pĂŽt de sa candidature officielle sur Parcoursup. Ensuite, il a « fait le choix de rentrer ce seul voeu » sur la plateforme, « prĂ©fĂ©rant comme beaucoup d’élĂšves partout en France rester dans son Ă©tablissement d’origine ». Ils sont pourtant extrĂȘmement rares, on l’a vu, celles et ceux qui ne prennent pas la prĂ©caution d’inscrire d’autres vƓux dans Parcoursup, au cas oĂč. 

Comment la ministre de l’Éducation nationale, dĂ©jĂ  contrainte de se dĂ©porter des dĂ©cisions relatives Ă  l’avenir de Stanislas, peut-elle dĂ©sormais conserver une lĂ©gitimitĂ© Ă  s’exprimer sur Parcoursup, sur ses avantages et ses travers, sur ses rĂ©formes nĂ©cessaires ? Il s’agit pourtant d’un sujet de prĂ©occupation majeur dans les milieux Ă©ducatifs depuis son lancement en 2018.

D’aprĂšs nos informations, le ministĂšre de l’enseignement supĂ©rieur, qui a la tutelle sur Parcoursup, a pour sa part rĂ©agi cette semaine. Dans un courrier datĂ© du 17 janvier, que nous nous sommes procurĂ©, la directrice de l’enseignement supĂ©rieur rappelle au directeur de Stanislas qu’il est tenu de respecter la charte de Parcoursup et ses « principes de non-discrimination [entre tous les lycĂ©ens de France – ndlr], d’égalitĂ© de traitement, d’équitĂ© et de transparence ».

Des élÚves choqués

Dans son courrier, le ministĂšre demande Ă  la direction de l’établissement « de bien vouloir confirmer que toutes les dispositions sont prises en ce sens pour la session 2024 qui s’ouvre ». Et il y a du travail. Car Mediapart a recueilli de nombreux tĂ©moignages d’ancien·nes Ă©lĂšves et parents d’élĂšves, qui confirment le systĂšme mis en place par Stanislas. Un procĂ©dĂ© qui aboutit Ă  une proportion dans ses classes prĂ©pa d’environ 25 % d’élĂšves issu·es de ses propres rangs. C’est une des clefs de la sauvegarde de l’entre-soi propre Ă  « Stan », mĂ©lange d’élitisme scolaire et de reconnaissance de classe.

« L’établissement a dĂ©jĂ  en tĂȘte [avant l’ouverture des candidatures sur Parcoursup – ndlr] une sorte de “short list” de bons Ă©lĂšves qu’ils veulent voir aller en “prĂ©pa Stan”, explique JĂ©rĂŽme, ancien Ă©lĂšve de prĂ©pa. Et ils vont les voir pour leur dire qu’ils seront admis Ă  condition qu’ils ne mettent qu’un seul vƓu sur Parcoursup. »

Certain·es ont Ă©tĂ© prĂ©venu oralement, beaucoup ont dĂ» envoyer un courrier de motivation prĂ©alable. « Au second trimestre, vers fĂ©vrier, ceux qui ont postulĂ© en prĂ©pa reçoivent la rĂ©ponse sur une fiche rendue en mĂȘme temps que le bulletin », dĂ©taille LĂ©na, aujourd’hui Ă©tudiante. « Avant Parcoursup, tous les Ă©lĂšves qui veulent aller en “prĂ©pa Stan” savent dĂ©jĂ  s’ils seront acceptĂ©s ou pas », insiste un autre tĂ©moin.

Des prĂ©fets (Ă©quivalent des conseillers principaux d’éducation) se chargeraient de prĂ©ciser aux meilleur·es Ă©lĂšves qu’elles et ils ne doivent formuler qu’un seul vƓu dans Parcoursup. « Ma mĂšre avait demandĂ© en rĂ©union pour s’en assurer, et on lui avait confirmĂ© ce procĂ©dĂ©, se souvient Sarah, en prĂ©pa Ă  « Stan » jusqu’en 2020. Un de mes meilleurs amis, excellent, avait quand mĂȘme mis trois voeux sur Parcoursup. Le prĂ©fet Ă©tait venu le voir juste avant la clĂŽture des dossiers pour lui hurler de n’en mettre qu’un. C’était trĂšs rude. »

« Mes profs m’avaient dit que je ne devais prendre aucun risque, confie Judith, qui au dĂ©part ne voulait pas vraiment faire sa prĂ©pa Ă  « Stan ». J’étais classĂ©e parmi les meilleurs de ma classe mais mes notes Ă©taient tellement basses [par rapport Ă  ce qui se fait dans d’autres lycĂ©es] que j’ai mis un seul vƓu, pour avoir l’assurance d’aller dans une prĂ©pa. On nous disait que si on mettait d’autres voeux, on serait traitĂ© comme des Ă©lĂšves lambdas sans l’assurance d’ĂȘtre pris Ă  Stan. »

Il ne nous viendrait jamais Ă  l’idĂ©e de donner une stratĂ©gie si risquĂ©e Ă  nos Ă©lĂšves.

Une professeur de prépa privée à Paris.

Dans le monde enseignant, nombre de spĂ©cialistes des classes prĂ©paratoires, du public mais aussi du privĂ©, ont lu ce passage du rapport d’inspection avec un certain effarement. « Il est illĂ©gal pour un Ă©tablissement d’origine de demander Ă  ses Ă©lĂšves de ne formuler qu’un nombre limitĂ© de vƓux et de contrĂŽler les vƓux, estime un professeur de philosophie d’une prĂ©pa francilienne publique, par ailleurs chargĂ© du suivi de la procĂ©dure Parcoursup. Tous les signataires de la Charte le savent : en tant que lycĂ©e hĂ©bergeant des prĂ©pas, soit vous vous positionnez comme un Ă©tablissement d’origine et vous aidez vos Ă©lĂšves Ă  faire leurs vƓux, soit vous vous positionnez comme Ă©tablissement d’accueil. Mais ce que fait ma main gauche, ma main droite doit l’ignorer. » Et de rappeler ce qui devrait relever de l’évidence : « Mon proviseur ne me donne pas les moyens d’aller regarder les vƓux des Ă©lĂšves du lycĂ©e ou de faire pression sur eux. »

« Je n’ai jamais entendu parler d’une telle chose ailleurs, dĂ©clare Christophe Viscogliosi, professeur dans une « prĂ©pa » ECG publique. C’est une pratique complĂštement Ă  l’opposĂ© de la philosophie de Parcoursup, qui est d’ouvrir l’éventail des choix. Outre que cela rarĂ©fie les places pour les Ă©lĂšves qui ne sont pas du lycĂ©e, l’établissement crĂ©e une sorte de rapport de force alors mĂȘme que Parcoursup Ă©tait censĂ© rĂ©Ă©quilibrer ce rapport de force. »

« Nous, ce sont nos Ă©lĂšves qui nous choisissent, pas l’inverse », s’indigne aussi Armelle Picardat, professeure de gĂ©ographie en « prĂ©pa » au lycĂ©e Jules Ferry, dans la capitale. Avec des pratiques comme celles de Stanislas, « les Ă©lĂšves ne sont pas rĂ©ellement mis en concurrence : ils prennent les meilleurs de chez eux et s’il reste des places Ă  la marge, ils ouvrent
 Il y a une injustice, les autres Ă©lĂšves n’entrent pas dans la moulinette ! »

Cette « moulinette », il est vrai, n’est pas toujours aussi transparente qu’elle le devrait. Et nombre de formations sĂ©lectives bricolent un algorithme « maison », qui attribue des « notes » aux candidatures en fonction du lycĂ©e d’origine (ses rĂ©sultats, sa rĂ©putation, etc), et pas seulement des notes obtenues par les Ă©lĂšves. Mais le « contournement » de Parcoursup mis en place par Stanislas est d’une autre nature.

« Il ne nous viendrait jamais Ă  l’idĂ©e de donner une stratĂ©gie si risquĂ©e Ă  nos Ă©lĂšves, insiste une professeur de prĂ©pa privĂ©e parisienne sous contrat. Stanislas pousse hyper loin la coercition, c’est dingue. »

QuestionnĂ© par Mediapart, le directeur de Stanislas FrĂ©dĂ©ric Gautier, qui n’a pas souhaitĂ© rĂ©pondre sur le cas du fils d’AmĂ©lie OudĂ©a-CastĂ©ra, nous a transmis un communiquĂ© indiquant n’avoir « pas Ă©tĂ© informé », par l’acadĂ©mie de Paris, « que le fait que certains candidats n’entraient qu’un vƓu pour Stanislas posait un problĂšme ».

Sur le fond, il confirme que des « avis » sont donnĂ©s, en amont des candidatures officielles dans Parcoursup, aux Ă©lĂšves de Terminale envisageant une prĂ©pa « maison » : elles et ils « ont alors la possibilitĂ© de candidater Ă  Stanislas et dans d’autres Ă©tablissements [
] ou bien de considĂ©rer qu’à l’aune de cet avis, ils ne candidatent qu’à Stanislas. » Mais FrĂ©dĂ©ric Gautier dĂ©ment tout « prĂ©judice pour eux », comme « pour les candidats extĂ©rieurs ». Une vision opposĂ©e Ă  celles de l’inspection gĂ©nĂ©rale.

Quant au directeur diocĂ©sain de l’enseignement catholique, sollicitĂ© par nos soins, il n’a pas souhaitĂ© rĂ©agir.