La différence de réactions de Darmanin et du gouvernement face aux manifestations ne vous saute pas aux yeux ? Faites le quiz des « Jours ».


Deux poids, deux mesures ? Depuis le dĂ©but des manifestations d’agriculteurs mi-janvier, la souplesse du gouvernement et de son ministre de l’IntĂ©rieur GĂ©rald Darmanin saute d’autant plus aux yeux qu’elle dĂ©tonne avec leur sĂ©vĂ©ritĂ© habituelle face Ă  d’autres mobilisations citoyennes. AprĂšs avoir annoncĂ© qu’il ne ferait pas Ă©vacuer les barrages routiers, aprĂšs avoir repoussĂ© la prĂ©sentation de la loi d’orientation agricole afin d’y intĂ©grer des mesures pour satisfaire les demandes agricoles, aprĂšs avoir appelĂ© les prĂ©fets Ă  une « grande modĂ©ration » et les forces de l’ordre Ă  n’intervenir qu’ « en dernier recours », le gouvernement a annoncĂ© le 26 janvier une sĂ©rie de mesures censĂ©es « mettre l’agriculture au-dessus de tout », tandis que, installĂ© derriĂšre une botte de foin (on a dĂ» saigner du nez dans l’équipe de com de Matignon pour trouver telle idĂ©e), le Premier ministre Gabriel Attal dĂ©nonçait « ceux qui opposent la dĂ©fense de nos agriculteurs et la dĂ©fense de l’environnement ». Hormis quelques vĂ©hicules blindĂ©s placĂ©s Ă  Rungis, mĂȘme le « siĂšge » de Paris, organisĂ© depuis ce lundi aprĂšs-midi par la FNSEA et les Jeunes agriculteurs, recueille l’appel de Darmanin Ă  la mĂȘme « grande modĂ©ration » de la part des forces de l’ordre.

Aux Jours, nous nous sommes donc livrĂ©s Ă  un petit jeu pour comparer la façon dont sont traitĂ©es les mobilisations citoyennes et Ă©cologistes d’une part, et les mobilisations agricoles d’autre part. On aurait pu revenir sur le mouvement contre la rĂ©forme des retraites, lors duquel des militants ont Ă©tĂ© condamnĂ©s pour avoir prĂ©parĂ© un soir un Ă©ventuel barrage routier pour le lendemain, ou encore sur les Ă©meutes aprĂšs le meurtre du jeune Nahel par un policier, qui ont vu des personnes ĂȘtre condamnĂ©es Ă  plusieurs annĂ©es de prison ferme pour avoir brĂ»lĂ© des poubelles, ou mĂȘme encore sur le mouvement des gilets jaunes. On se contentera d’exemples de sanctions tirĂ©es d’une part des manifestations d’agriculteurs depuis le dĂ©but de l’annĂ©e 2024 et, d’autres part, de manifestations de militants Ă©cologistes ces derniers mois.

À vous de deviner si, lors des actions suivantes, les personnes Ă  l’Ɠuvre Ă©taient des Ă©cologistes ou des agriculteurs. Pas facile
 On vous rappelle donc les critĂšres fixĂ©s par Darmanin lui-mĂȘme, qui a prĂ©cisĂ© sa doctrine Ă  gĂ©omĂ©trie variable :

  • la souffrance des concernĂ©s et concernĂ©es doit ĂȘtre prise en compte. « Oui ils souffrent et ils ont le droit de revendiquer [
]. On ne rĂ©pond pas Ă  la souffrance avec des CRS. [
] En tant que ministre de l’IntĂ©rieur, Ă  la demande du PrĂ©sident et du Premier ministre, je les laisse faire », a-t-il expliqué sur TF1, le 25 janvier, Ă  propos des agriculteurs ;

  • attention, certaines lignes rouges ne doivent pas ĂȘtre franchies : « Est-ce qu’ils s’en prennent aux policiers et aux gendarmes, est-ce qu’ils s’en prennent aux bĂątiments publics, est-ce qu’ils mettent le feu aux bĂątiments publics ? Ce n’est pas le cas. » Puis : « S’ils respectent les rĂšgles de la RĂ©publique, et ils le font, ce sont des patriotes, il n’y a aucune raison de faire intervenir les policiers et les gendarmes. » Puis encore : « S’ils en prennent Ă  des bĂątiments publics, Ă©videmment que nous interviendront » ;

  • doit ĂȘtre pris en compte Ă©galement le fait que les manifestants travaillent ou non : « Les agriculteurs travaillent et, lorsqu’ils ont envie de dĂ©montrer qu’ils ont des revendications, il faut les entendre » ;

  • enfin, il ne faut pas ĂȘtre «** radical **» : « Quand on tire au mortier d’artifice, qu’on attaque Ă  la tronçonneuse ou Ă  la boule de pĂ©tanque sur les forces de l’ordre, comme c’est le cas parfois d’écologiste radicaux, Ă©videmment je fais intervenir les forces de l’ordre. »

Vous avez compris ? À vous de jouer.

##1)

Un groupe de 200 personnes fait irruption sur l’autoroute A13 un dimanche vers 16 heures. Le prĂ©fet de l’Eure dĂ©nonce « une action irresponsable » et saisit la justice. Neuf personnes sont mises en garde Ă  vue.

S’agit-il : A. D’écologistes B. D’agriculteurs ?

RĂ©ponse A : d’écologistes. Plus prĂ©cisĂ©ment de manifestants contre le projet de contournement Est de Rouen qui participaient Ă  une mobilisation en lien avec Les SoulĂšvements de la Terre, le 7 mai 2023.

##2)

Plusieurs dizaines de personnes font irruption sur la mĂȘme autoroute A13. Le mĂȘme prĂ©fet de l’Eure vient Ă©couter les demandes des manifestants puis, dans un communiquĂ©, remercie les gendarmes qui « sĂ©curisent le blocage ».

S’agit-il : A. D’écologistes B. D’agriculteurs ?

RĂ©ponse B : d’agriculteurs, le 25 janvier. Pour expliquer cet diffĂ©rence de traitement, la prĂ©fecture de l’Eure a prĂ©cisé à nos confrĂšres et consƓurs de France 3 que les militants Ă©cologistes avaient Ă  l’époque « envahi l’A13 par surprise [
] en pleine circulation et Ă  une heure de trafic intense », mettant « en danger leurs vies et celle des automobilistes », alors que les agriculteurs, eux, ont procĂ©dĂ© de mĂȘme aprĂšs avoir alertĂ© la gendarmerie et attendu « la mise en Ɠuvre de mesures de sĂ©curisation et de dĂ©viation ».

##3)

Trois personnes aspergent de peinture liquide la prĂ©fecture du RhĂŽne. Elles expliquent ĂȘtre dans une dĂ©marche de dĂ©sobĂ©issance civile. Elles sont condamnĂ©es Ă  payer 1 000 euros d’amende avec sursis et 76 000 euros de dommages et intĂ©rĂȘts.

S’agit-il : A. D’écologistes B. D’agriculteurs ?

RĂ©ponse A : d’écologistes. Les faits ont eu lieu le 22 mars 2023 et visaient Ă  dĂ©noncer l’inaction de l’État dans la rĂ©novation thermique des bĂątiments. Ces militants, trois trentenaires membres du collectif aujourd’hui disparu DerniĂšre rĂ©novation, assurent que la peinture peut se nettoyer Ă  l’eau et ont fait appel. En aoĂ»t 2023 dĂ©jĂ , cinq militants du mĂȘme mouvement avaient Ă©tĂ© condamnĂ©s pour une action similaire Ă  1 000 euros d’amende et 35 000 euros de dommages et intĂ©rĂȘts.

##4)

Des dizaines de personnes repeignent la façade de la prĂ©fecture d’Agen (Lot-et-Garonne) avant de mettre feu Ă  des pneus accolĂ©s Ă  cette façade. Un militant annonce au mĂ©gaphone aux personnes prĂ©sentes et sous les yeux des forces de l’ordre : « À la prĂ©fecture, je pense qu’ils ont compris qu’on est sacrĂ©ment en colĂšre. Maintenant vous savez oĂč sont vos administrations qui vous emmerdent, vos banques. Allez-y ! [
] Ils vont comprendre. » Cet homme est dĂ©jĂ  connu pour avoir menacé de « mettre dehors du dĂ©partement » une leader politique et s’ĂȘtre investi dans la dĂ©fense de bassines illĂ©gales, notamment Ă  Caussade (Tarn-et-Garonne). Aucune interpellation n’a eu lieu, selon des informations de la presse locale confirmĂ©es par Le Figaro.

S’agit-il : A. D’écologistes B. D’agriculteurs ?

RĂ©ponse B : d’agriculteurs. Les images de cette action datant du 24 janvier montrent que le liquide utilisĂ© pour peindre la façade est d’origine animale – du lisier. Est-ce que cela explique la mansuĂ©tude des autoritĂ©s ? Selon le journaliste indĂ©pendant ClĂ©ment Lanot, trois voitures de police ont rĂ©gulĂ© la circulation de façon Ă  aider les agriculteurs Ă  accĂ©der Ă  la prĂ©fecture. L’homme Ă  la casquette jaune est un leader local du syndicat agricole Coordination rurale 47, JosĂ© PĂ©rez. Nous aurions pu prendre d’autres exemples. À GuĂ©ret, toujours le 24 janvier, la façade de la prĂ©fecture de la Creuse a Ă©tĂ© souillĂ©e de lisier, des arbres ont Ă©tĂ© dĂ©racinĂ©s, des canalisations et des systĂšmes de ventilation obstruĂ©s par les dĂ©jections. La maire de GuĂ©ret a rappelĂ© son soutien aux agriculteurs tout en se disant ulcĂ©rĂ©e par ce qui s’est passĂ©, qui aura un coĂ»t Ă©norme pour la ville.

##5)

Trois personnes organisent une manifestation non autorisĂ©e contre une installation dont la lĂ©galitĂ© est contestĂ©e. Cette manifestation dĂ©bouche sur des affrontements avec des policiers, et plusieurs observateurs dĂ©noncent la responsabilitĂ© de l’État et des forces de l’ordre dans ces dĂ©bordements. Les trois personnes sont condamnĂ©es Ă  des peines allant de six mois Ă  un an de prison.

S’agit-il : A. D’écologistes B. D’agriculteurs ?

RĂ©ponse A : d’écologistes. Julien Le Guet, porte-parole du collectif Bassines non merci, et deux membres des SoulĂšvements de la Terre ont Ă©tĂ© condamnĂ©s le 17 janvier pour une manifestation ayant eu lieu en mars  2023. Selon France Bleu, « le prĂ©sident du tribunal a expliquĂ© que l’état de nĂ©cessitĂ© par rapport Ă  l’urgence climatique, c’est-Ă -dire le danger, le pĂ©ril imminent qui justifierait ces actes, n’avait pas Ă©tĂ© retenu », mais aussi « que la dĂ©sobĂ©issance civile ne concernait que les actes de contestation sans violence ». En novembre 2022, le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti avait, selon Mediapart, demandé « une rĂ©ponse pĂ©nale systĂ©matique et rapide » contre les manifestants opposĂ©s aux mĂ©gabassines.

##6)

500 personnes manifestent devant la prĂ©fecture d’Albi. Deux d’entre elles sont identifiĂ©es alors que l’une met le feu Ă  une barriĂšre en bois et que l’autre projette la barriĂšre contre la prĂ©fecture. Le prĂ©fet dĂ©nonce : « L’enceinte de la prĂ©fecture a Ă©tĂ© dĂ©gradĂ©e et des immondices ont Ă©tĂ© projetĂ©es au-dessus des grilles. Un incendie a Ă©tĂ© provoquĂ© devant les grilles du bĂątiment nĂ©cessitant l’intervention des sapeurs-pompiers du Tarn. Le prĂ©fet dĂ©nonce de la maniĂšre la plus absolue ces actes inacceptables qui sont des atteintes directes Ă  nos institutions, Ă  l’État et Ă  la RĂ©publique. Le prĂ©fet du Tarn a demandĂ© Ă  la police nationale de tout mettre en Ɠuvre pour identifier et interpeller les auteurs de ces actes. Il remercie les policiers, gendarmes nationaux et les sapeurs-pompiers qui sont intervenus dans des conditions difficiles. » Six personnes sont mises en garde Ă  vue, deux sont condamnĂ©es Ă  quatre mois de prison avec sursis.

S’agit-il : A. D’écologistes B. D’agriculteurs ?

RĂ©ponse B : d’agriculteurs. Sur ce coup-lĂ , on est joueurs : un agriculteur a bien Ă©tĂ© condamnĂ©. PrĂ©cision sĂ»rement utile : il est membre du syndicat minoritaire ConfĂ©dĂ©ration paysanne et il manifestait contre la rĂ©forme des retraites.

##7)

Un groupe de personnes creuse illĂ©galement une retenue de prĂšs d’un million de mĂštres cubes et de 20 hectares destinĂ©e Ă  irriguer des cultures. Les deux organisateurs sont condamnĂ©s Ă  dix mois de prison avec sursis.

S’agit-il : A. D’écologistes B. D’agriculteurs ?

RĂ©ponse B : d’agriculteurs. En 2018, la prĂ©fet du dĂ©partement du Tarn-et-Garonne a autorisĂ©, malgrĂ© plusieurs avis contraires Ă©mis par les autoritĂ©s environnementales, la construction d’un barrage destinĂ© Ă  former un lac artificiel Ă  Caussade pour l’irrigation agricole (lire l’épisode 3, « Bassines : l’État brĂ»le le droit »). Une association environnementale locale a dĂ©posĂ© un recours, le tribunal administratif lui a donnĂ© raison. Des agriculteurs locaux, suivant l’appel de la Coordination rurale locale et de la chambre d’agriculture, toutes les deux alors prĂ©sidĂ©es par Serge Bousquet-Cassagne, ont dĂ©cidĂ© de lancer les travaux eux-mĂȘmes – avec l’aide financiĂšre de la chambre d’agriculture, qui a maquillĂ© ses comptes pour payer la facture, épinglera la Cour des comptes. En 2022, Serge Bousquet-Cassagne et Patrick Franken, son vice-prĂ©sident Ă  la chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne, ont Ă©tĂ© condamnĂ©s en appel Ă  dix mois de prison avec sursis.

##8)

Des manifestants qui s’opposent Ă  un ouvrage illĂ©gal manifestent en novembre 2021 autour du site en travaux. La prĂ©fecture des Deux-SĂšvres condamne leur action et ses modalitĂ©s. Une unitĂ© d’enquĂȘte d’élite de la gendarmerie est mobilisĂ©e pendant plusieurs mois pour faire la lumiĂšre sur cette action. En mars 2023, deux hommes sont condamnĂ©s à une amende de 500 euros chacun pour avoir lacĂ©rĂ© une bĂąche de cet Ă©quipement.

S’agit-il : A. D’écologistes B. D’agriculteurs ?

RĂ©ponse A : d’écologistes. Il s’agit de la bassine de Cram-Chaban (Charente-Maritime). AprĂšs un long parcours judiciaire, le Conseil d’État a confirmé en fĂ©vrier 2023 l’interdiction de remplir ces bassines. L’avocat des deux condamnĂ©s s’est rĂ©joui de cette condamnation, rappelant que le parquet avait requis des condamnations Ă  cinq mois de prison avec sursis.

##9)

Une quarantaine de personnes, dont certaines masquĂ©es, s’introduisent illĂ©galement sur un site de loisirs sportifs et dĂ©gradent une pelouse bien entretenue ainsi qu’un systĂšme d’arrosage. Le prĂ©fet de la Vienne dĂ©nonce « une dĂ©gradation intolĂ©rable ». Le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau s’insurge : « Il n’y aura jamais de dialogue possible avec ceux qui entendent imposer leur loi par la violence. Jamais. » Aucune interpellation n’est rĂ©alisĂ©e, mais certains suspects sont identifiĂ©s avec l’appui d’un drone et des plaintes sont dĂ©posĂ©es.

S’agit-il : A. D’écologistes B. D’agriculteurs ?

RĂ©ponse A : d’écologistes. En aoĂ»t 2023, le logo des SoulĂšvements de la terre avait Ă©tĂ© creusĂ© dans le green d’un golf de Beaumont Saint-Cyr (Vienne) lors d’une manifestation appelĂ©e « Convoi de l’eau ». « Il s’agit d’un acte revendicatif qui n’a pas Ă©tĂ© planifiĂ© et ne relĂšve pas de l’organisation du convoi », avaient prĂ©cisé dans un communiquĂ© les organisateurs – Les SoulĂšvements, le collectif Bassines non merci et le syndicat agricole ConfĂ©dĂ©ration paysanne.

##10)

Des manifestants apportent la carcasse d’un mammifĂšre mort, le pendent Ă  un arbre et l’éventre. Ce cadavre est installĂ© face Ă  un bĂątiment de l’inspection du travail Ă  Agen, dont les manifestants dĂ©noncent la trop grande rigueur. Personne n’est interpellĂ©. Des Ă©lus CGT reprĂ©sentant les salariĂ©s de cette institution interpellent la ministre du Travail Catherine Vautrin sur X : « Qu’attendez-vous pour rĂ©agir ? »

S’agit-il : A. D’écologistes B. D’agriculteurs ?

RĂ©ponse B : d’agriculteurs. C’était au lendemain de la manifestation du 24 janvier, Ă  l’occasion de laquelle la prĂ©fecture d’Agen avait Ă©tĂ© repeinte. Un cadavre de sanglier a Ă©tĂ© suspendu par des militants prĂ©sents sur place Ă  l’appel de la Coordination rurale.