Des vidĂ©os que rĂ©vĂšle Mediapart montrent qu’une femme de 67 ans, juive orthodoxe, a Ă©tĂ© privĂ©e de sa perruque alors qu’elle venait d’ĂȘtre arrĂȘtĂ©e pour un refus d’obtempĂ©rer au commissariat de CrĂ©teil. Son avocat dĂ©nonce des violences policiĂšres « sexistes et antisĂ©mites ».


Sur les images, une femme est allongĂ©e sur le sol carrelĂ© blanc, un bras menottĂ© au pied d’un banc mĂ©tallique, maintenue par deux policiers. On l’entend crier : « Je suis juive, je veux ma perruque. Ma perruque  » En vain. Sa tĂȘte est nue, ses cheveux apparents. La scĂšne dure de longues minutes.

Elle est issue d’une vidĂ©o filmĂ©e par un policier du commissariat de CrĂ©teil (Val-de-Marne) le 8 juin 2023, et que Mediapart s’est procurĂ©e. Elle raconte l’histoire de Sarah*, 67 ans, retraitĂ©e, mĂšre de six enfants et grand-mĂšre de 30 petits-enfants, interpellĂ©e aprĂšs un contrĂŽle routier et accusĂ©e de « refus d’obtempĂ©rer » et de « dĂ©gradation de bien ».

Juive orthodoxe au sein d’une communautĂ© Loubavitch, Sarah porte des perruques depuis ses 18 ans, l’annĂ©e de son mariage, conformĂ©ment Ă  sa pratique religieuse. « M’arracher ma perruque est une des pires choses que l’on puisse me faire. À la maison, j’ai la tĂȘte couverte. MĂȘme la nuit », explique Sarah dans un entretien Ă  Mediapart. Ce jour-lĂ , dit-elle : « J’ai Ă©tĂ© humiliĂ©e, brisĂ©e  »

Son avocat, AriĂ© Alimi, a dĂ©posĂ© plainte pour « atteinte Ă  la libertĂ© individuelle » via une arrestation arbitraire, des « violences volontaires par personne dĂ©positaire de l’autoritĂ© publique » et des « violences commises en raison d’une appartenance religieuse et du sexe ». « On est Ă  l’intersection de plusieurs violences : des violences sexistes, Ă  caractĂšre antisĂ©mite et une violence policiĂšre », estime AriĂ© Alimi.

De son cĂŽtĂ©, Sarah est visĂ©e par une plainte de la police pour « mise en danger de la vie d’autrui avec risque immĂ©diat de mort » et « dĂ©gradation de bien public ».

ContactĂ©e Ă  de multiples reprises, la prĂ©fecture de police de Paris n’a pas donnĂ© suite Ă  nos demandes.

###Un contrĂŽle routier

Ce jeudi aprĂšs-midi de juin 2023, Sarah rentre d’une boucherie de CrĂ©teil oĂč elle a l’habitude de faire ses courses. Devant elle se trouvent trois motards qu’elle n’identifie pas comme des policiers immĂ©diatement. Elle les klaxonne et poursuit sa route. Les agents de la patrouille motorisĂ©e de la compagnie de sĂ©curisation et d’intervention de la circonscription de CrĂ©teil, eux, dĂ©crivent un vĂ©hicule roulant « à une vitesse excessive ». Ils encerclent Sarah, procĂšdent Ă  un contrĂŽle d’identitĂ©. Au milieu de la procĂ©dure, elle recule et heurte une moto garĂ©e juste derriĂšre sa voiture. Les policiers braquent leurs armes de service sur elle.

Les images, consultĂ©es par Mediapart, racontent la suite de la scĂšne. Sarah assure qu’elle n’avait pas vu la moto. Et que si elle l’a heurtĂ©e, c’est « sans le faire exprĂšs ». Elle dit aux policiers qu’elle a eu peur et a Ă©tĂ© choquĂ©e de voir leur « flingue ». Sur procĂšs-verbal, un policier justifie la sortie d’arme par un « danger immĂ©diat ». Allant jusqu’à dire : « La conductrice Ă©tant sur le point de nous percuter de plein fouet sans possibilitĂ© de nous protĂ©ger. »

Sur place, le ton monte. Les agents emmĂšnent Sarah au commissariat. Elle refuse d’ĂȘtre menottĂ©e. « J’ai expliquĂ© que j’étais claustrophobe [
] Ils ont acceptĂ© de ne pas m’entraver », a racontĂ© la retraitĂ©e dans sa plainte Ă  l’IGPN.

###« Un coup de genou dans le dos »

Un policier serait alors arrivé « en colĂšre », selon sa plainte, affirmant que « ça ne se passerait pas comme ça ». Il l’aurait alors empoignĂ©e pour la lever, Sarah serait « tombĂ©e dans les pommes ». Pour la redresser, il lui aurait donné « des coups », notamment « un coup de genou dans le dos ». Sa tĂȘte aurait heurtĂ© le banc de garde Ă  vue et le mur ; sa perruque aurait alors lĂ©gĂšrement glissĂ©.

Les policiers la lui enlĂšvent. Un des motards le justifie dans son compte rendu Ă©crit : « Sa perruque l’empĂȘchant de respirer correctement, un effectif lui retire [
] lorsque l’interpellĂ©e devient complĂštement hystĂ©rique et se met Ă  hurler qu’elle veut rĂ©cupĂ©rer sa perruque ».

Ce que l’agent qualifie de comportement « hystĂ©rique » – un terme « sexiste », souligne l’avocat de Sarah – figure sur les images filmĂ©es par un des policiers prĂ©sents, et versĂ©es Ă  la procĂ©dure. On y voit Sarah finalement Ă  terre, se dĂ©mener, hurler, sembler Ă  demi consciente, voire inconsciente. D’aprĂšs son avocat, elle a fait plusieurs malaises. Sa fille, jointe par le commissariat, avait prĂ©venu qu’elle Ă©tait sujette à « des crises de tĂ©tanie ». Sur les images, on la voit plusieurs minutes, sans rĂ©action, la tĂȘte ballante, le corps raide. Elle parle difficilement, convulse


Les policiers, eux, jurent qu’elle a « feint » les pertes de conscience.

« Ces policiers ne sont pas mĂ©decins
, rĂ©torque AriĂ© Alimi. Quand on voit quelqu’un au sol, qui a l’air d’avoir perdu connaissance, leur apprĂ©ciation ou leur abstention Ă  agir peut constituer une mise en danger de la vie d’autrui. » Ils finiront d’ailleurs par appeler les pompiers, qui vont conduire Sarah aux urgences de l’hĂŽpital. Elle y restera une heure sans ĂȘtre examinĂ©e. Elle ira consulter son mĂ©decin traitant le lendemain.

Le certificat mĂ©dical qu’il Ă©tablit, en date du 9 juin, « constate des contusions et hĂ©matomes aux poignets, Ă  la face interne des bras, sur les genoux, Ă  la fosse lombaire droite, Ă  la cuisse droite, au niveau des fesses et un Ă©tat de choc psychologique ».

###« Un acte antisĂ©mite par des reprĂ©sentants de l’État »

Fait surprenant : nulle part dans les 57 pages du dossier de poursuites Ă  l’égard de Sarah n’est mentionnĂ©e la raison pour laquelle elle rĂ©clame sa perruque. Jamais sa confession, pourtant si importante pour elle, n’est indiquĂ©e.

NĂ©anmoins, les policiers le savent. Elle leur crie qu’elle est « juive » sur une des vidĂ©os versĂ©es au dossier. On y entend aussi distinctement l’un des agents dire qu’elle est « feuj ». Sarah est la cible de railleries. Les images le montrent. Alors qu’un policier lui demande son adresse, une collĂšgue rĂ©pond : « Rue de la perruque ! » C’est elle, entre autres, qui refusera de la lui rendre.

« C’est une scĂšne ignominieuse, s’émeut Me Alimi. Il faut qu’on sache comment a Ă©tĂ© traitĂ©e une femme juive dans un commissariat de la RĂ©publique française. » L’avocat a consultĂ© Jonas Pardo, du collectif Golem qui lutte contre l’antisĂ©mitisme : « Arracher la perruque d’une femme juive est un acte antisĂ©mite, une atteinte Ă  sa dignitĂ©, Ă  sa pudeur, de la mĂȘme maniĂšre qu’arracher le foulard d’une femme musulmane serait un acte islamophobe. »

Sarah regrette ce qu’elle juge ĂȘtre « un acte antisĂ©mite par des reprĂ©sentants de l’État », visĂ©e « parce que juive » : « Parce que j’étais une femme aussi. » EntravĂ©e, malmenĂ©e et humiliĂ©e, sur le sol d’un commissariat, elle explique mĂȘme avoir pensé « aux nazis » et dit s’ĂȘtre sentie « de maniĂšre symbolique » plongĂ©e dans « une partie de l’histoire » des juifs et juives d’Europe.

###Contusions, hématomes et « choc psychologique »

Le 13 juin, Sarah dĂ©pose plainte auprĂšs de l’IGPN pour « violences volontaires ». « J’avais saisi l’ampleur de ma douleur, et surtout de mon traumatisme. DĂšs que je commençais Ă  parler, je pleurais. J’avais des bleus sur le corps. »

« Rien que d’en parler elle se mettait Ă  trembler, Ă  bĂ©gayer », souligne une de ses filles. Son mari, mĂ©decin, dit aussi avoir Ă©té « trĂšs perturbĂ© par l’état de [sa] femme ». « MĂȘme si elle sait ĂȘtre courageuse et rĂ©sistante, elle est plus fragile depuis. C’est trĂšs rĂ©voltant. »

Mais sa plainte est classĂ©e sans suite, le 28 septembre, au motif que « l’infraction n’est pas caractĂ©risĂ©e », selon le parquet de CrĂ©teil. Selon nos informations, Sarah a dĂ©posĂ© une nouvelle plainte avec constitution de partie civile le 1er fĂ©vrier.

ParallĂšlement, l’enquĂȘte sur les faits qui se sont produits lors du contrĂŽle routier s’est poursuivie. Le 20 juin, Sarah est placĂ©e en garde Ă  vue pendant six heures. Le devis de rĂ©paration de la moto qu’elle a renversĂ©e lui est prĂ©senté : 2 390,15 euros – elle devra s’en acquitter. Sur procĂšs-verbal, elle indique : « Je dĂ©plore l’inhumanitĂ© des gens [
] J’ai Ă©tĂ© menottĂ©e de force, je suis tombĂ©e par terre, des fonctionnaires de police [
] étaient lĂ  pour me brutaliser [
] je ne reconnais pas les faits reprochĂ©s. »

Le parquet de CrĂ©teil lui a proposĂ© une comparution sur reconnaissance prĂ©alable de culpabilitĂ©, une forme de plaider-coupable. Sont reprochĂ©s Ă  Sarah une « mise en danger de la vie d’autrui » et l’acte d’« avoir dĂ©gradĂ© la moto d’un fonctionnaire de police ». La sexagĂ©naire a refusĂ©. Elle est renvoyĂ©e devant le tribunal le 4 mars prochain.

Aujourd’hui, Sarah explique ĂȘtre dans une « rĂ©volte permanente » au sujet des violences policiĂšres. Elle tĂ©moigne pour qu’aucune autre femme ne subisse le mĂȘme traitement : « Que ce soit une femme juive, arabe ou toute femme qui tient Ă  un vĂȘtement ou a une attitude liĂ©e Ă  sa religion. Tout le monde a droit au respect. »