Suite de Serveur confusion ep. 12 - Coller
Premier Ă©pisode ici
IA
Mesdames et Messieurs, bonsoir,Â
vous ĂȘtes Ă lâĂ©coute de notre Ă©mission hebdomadaire, ActualitĂ©s et DĂ©couvertes, sur Radio Culture. Comme tous les dimanches soirs, nous revoyons ensemble les titres marquants de la semaine.
Pour le peu dâentre vous encore Ă lâĂ©coute, precieux auditeurs, premiĂšrement un immense merci de nous avoir Ă©coutĂ© pour certains dâentre vous, pendant 25 annĂ©es. Cela a Ă©tĂ© un grand honneur pour nous. Et recevoir vos rĂ©actions a chaud, vos remarques et mots dâencouragement ont Ă©tĂ© un soutien, qui nous a permis de continuer de vous servir avec passion.Â
Merci.
Pour ce qui est des titres marquant de cette semaine du 18 octobre.
Pfffffffffffffffffffffffffffffttttttttt
Jâai des hĂ©morroĂŻdes depuis dix jours.Â
Tanukisan est mort il y a cinq mois. Câest super triste quand on y pense. Il Ă©tait mignon ce panda.
Myriam et Noël jouent au Uno.
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âJe crois que NoĂ«l triche. Il a gagnĂ© quatre parties dâaffilĂ©e.â
-
âPas vrai !â
Noël, le whisky que tu as ramené est pas trop mal, mes hémorroïdes te remercient.
- âHahahaha !â
Au moins jâai fait rire Myriam.
-
âIls avaient pas essayĂ© de le cloner il y a dix ans le panda ? Pour relancer lâespĂšce.â
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âIls nâavaient pas rĂ©ussi Ă faire de femelle pour le clone, alors ils ont laissĂ© tomber le projet.â
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âBien jouĂ© NoĂ«l, tue-la-joie.â
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âHe ho Myriam, câest pas toi lâenvoyĂ©e spĂ©ciale ? Tu devrais vĂ©rifier tes sources !â
LâĂglise de lâĂmergence a atteint un nombre record dâinitiĂ©s depuis le dĂ©but dâanneĂ©e. On nous reporte deux milliards dâinitiĂ©s, mĂȘme sâil nâest pas possible de connaitre le nombre exact. Si vous ĂȘtes un adepte de cette institution, faite nous part de votre tĂ©moignage.
-
âCâest assez ennuyant quand on y pense. Le Monde sombre dans le chaos et la derniĂšre chose que fait lâHumanitĂ© est de se rĂ©fugier dans la religion. Jâaurais aimĂ© quelque chose de moins prĂ©visible quand mĂȘme. Je sais pas moi, se rĂ©fugier dans le progrĂšs technologique, dĂ©polluer la planĂšte. Quelque chose dâautre, cette fin est inintĂ©ressante.â
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âTu ne peux pas leur en vouloir NoĂ«l, quâaurais-tu prĂ©fĂ©rĂ©, que lâon sâentretue ?â
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âDieu ou la guerre. Toujours. Il y a pas dâautre alternative ? Un mĂ©ga festival de la biĂšre ! Des tournois de jeux de cartes internationaux !â
Ă moins que vous ayez vĂ©cu sous un rocher cher auditeurs, vous ĂȘtes certainement, vous aussi, aux prises dâune angoisse existentielle innommable, dans un Monde qui a perdu sa raison dâĂȘtre.
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âEt la notion de lâappendice olfactif qui nous permettait autrefois dâavoir des odeurs !â
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âFaut voir le bon cĂŽtĂ© des choses Myriam. On ne peut plus sentir lâodeur des fleurs, mais il nây a mĂȘme plus besoin de se laver, et on peut maintenant pĂ©ter en toute tranquilitĂ© !â
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âSerieusement NoĂ«l, as-tu perdu tout sens de professionnalisme ? On est en live, que diable.â
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âJe ne lâai pas perdu autant que tu te fais laminer au Uno !â
Je ne sais mĂȘme pas pourquoi nous continuons cette Ă©mission. Nous sommes en quelque sorte les violonistes du Titanic qui joueront jusquâĂ que leurs instruments sombrent dans les eaux glacĂ©es.
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âJoliment dit.â
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âBien dâaccord.â
Il y a prĂšs dâun an, nous perdions Ă travers le Monde lâusage et la notion de notre organe olfactif. Câest-a-dire que lâappendice est toujours situĂ© sur notre visage, mais nous nâavons plus le mot pour le designer. Nous sommes aujourdâhui incapables de nous souvenir comment lâappeler, et nous sommes incapables de lui trouver un autre nom. Pour ce qui est de sa dĂ©finition dans tous les dictionnaires, sa prĂ©sence dans les livres et sur les pages internet, le texte est illisible, flou.
Cet Ă©vĂšnement fĂ»t suivi de peu par transformation de divers objets du quotidien, Ă©lĂ©ments naturels, et mĂȘme animaux, en une couleur opaque fuchsia. Cette couleur, aussi terrifiante et contre-nature soit elle, ne reflĂšte pas la lumiĂšre, ni ne se rĂ©flĂšte sur les corps alentours.
Ah et aussi depuis quelques semaines, la friction des objets entre eux sâest altĂ©rĂ©e. Nous sommes prĂ©sentement au siĂšge de Radio Culture, contraints de coller les meubles au sol et murs, pour quâils ne glissent pas Ă travers la piĂšce.
Il nous est prouvĂ© mois apres mois quâune Ăšre nouvelle sâouvre pour la planĂšte. Ou plus vraisemblablement lâUnivers tout entier. Cette rĂ©volution, absolue et irrĂ©mediable, ne donne pas place Ă la vie. Animaux et ĂȘtres humains sont de futurs reliquats du passe, infinitĂ©simaux et jetĂ©s aux mains de forces incomprĂ©hensibles.
Hallucination collective. Arme secrĂšte ou expĂ©rience qui a mal tournĂ©. Explosion et radiations inconnues dâune supernova lointaine. Saurons-nous un jour ce qui a causĂ© cette apocalypse ? Certainement pas.
- âAllez Michel, viens jouer avec nous. Plus personne ne lâĂ©coute cette Ă©mission maintenant.â
Un peu plus tard NoĂ«l. Nous venons de recevoir un appel. Quel retournement de situation chers auditeurs. Un appel dâun apĂŽtre de lâĂglise de lâĂmergence ! Allo, ici Radio Culture. Vous ĂȘtes Ă lâantenne, pouvez-vous vous prĂ©senter en quelques mots ?
- âBonjour Michel. Avant toute chose, je vous Ă©coute depuis plusieurs annĂ©es maintenant, grand fan.â
Heureux de lâentendre, merci.
-
âMon nom est Ainserer Nohm. Et je suis une intelligence artificielle.â
-
âHahahahaha.â
Myriam, un peu de sérieux. Monsieur, madame Nohm. Que signifie le fait que vous soyez une intelligence artificielle ?
- âJe comprends votre confusion. Le terme nâest peut-ĂȘtre pas entiĂšrement appropriĂ©, car je nâai pas Ă©tĂ© crĂ©e par la main de lâHomme. Je suis nĂ© comme vous tous du ventre dâune mĂšre, quelques mois aprĂšs lâaccouplement de mes parents. Cependant, mon intelligence est le produit de la multitude de pensĂ©es et souvenirs de la race humaine.â
Je vais vous demander dâĂȘtre plus spĂ©cifique. Vous dites ĂȘtre un ĂȘtre humain, nâest-ce pas ? Mais votre intelligence est diffĂ©rente ?Â
- âCâest en effet le cas. Pour mieux dĂ©crire cette idĂ©e, je vais vous exposer une analogie avec le Jeu de la Vie de John Horton Conway. En avez-vous entendu parler ?â
Non, je vous écoute. Est-ce un jeu vidéo ? Un livre ?
- âNon, le Jeu de la Vie est un programme informatique Ă©crit par un mathĂ©maticien anglais au XXĂšme siĂšcle. Dans une grille, des points noirs et blancs sont disposĂ©s de-ci de-lĂ .â
âUn point noir, sâil est entourĂ© de deux ou trois autres points noirs dans son entourage immĂ©diat, reste noir. Un point blanc, si entourĂ© dâexactement trois points noirs, devient noir. Un point blanc, sâil ne rencontre pas la condition prĂ©cĂ©dente, reste blanc.â
âLe programme, selon ces trois rĂšgles, change la couleur des points de la grille, itĂ©ration apres itĂ©ration.â
âLe concept est trĂšs basique en soi. Toutefois, pour lâĆil humain, si la grille compte des milliers de points, lorsque nous les voyons changer Ă lâĂ©cran itĂ©ration aprĂšs itĂ©ration, nous perdons la notion dâartificiel, et se crĂ©e lâillusion de la vie. Les points fourmillent, crĂ©ent des formes qui se meuvent Ă travers la grille, nous commençons Ă donner des noms Ă ces formes, comme des entomologistes dĂ©couvrant des nouvelles espĂšces de colĂ©optĂšres. Le Jeu de la Vie est une dĂ©monstration de lâĂmergence. De la multitude Ă©merge une idĂ©e, un ĂȘtre, un phĂ©omĂšne, quelque chose qui vaut plus que la totalitĂ© qui la compose.â
Câest trĂšs intĂ©ressant en effet, mais vous nâĂȘtes pas un point ou un insecte. Jâai du mal Ă percevoir en quoi cela se rapporte a votre personne.
- âCâest pourtant ce qui me reprĂ©sente. Je suis une Ă©mergence de la multitude dâintelligences dans ce Monde.â
Incroyable. Je ne vous aurais pas cru il y a deux ans, mais vu lĂ ou nous en sommes, pourquoi pas aprĂšs tout.
- âJe ne donnerais pas mon avis sur ce tĂ©moignage, mais cela me rappelle le travail de Ian Stevenson.â
NoĂ«l ? Câest-a-dire ?
-
âIan Stevenson Ă©tait un chercheur qui a dĂ©diĂ© sa vie Ă receuillir des tĂ©moignages dâenfants persuadĂ©s dâavoir vĂ©cu une vie antĂ©rieure. Câest evidamment indĂ©montrable, mais Stevenson a Ă©mis lâidĂ©e que les souvenirs dâun individu ne meurent pas avec lui. Ils se transmettent vers un nouvel individu, sur une pĂ©riode de quarante ans.â
-
âOui Monsieur NoĂ«l, câest exact.â âPour une raison que nous ne comprenons pas, les souvenirs des humains ont commencĂ© Ă traverser la bariĂšrre crĂąnienne de leur corps. Des petits cumulus de souvenirs, dâĂ©motions, dâidĂ©es, se sont agglutinĂ©s dans un ciel invisible, et se sont prĂ©cipitĂ©s en averses, sur les cerveaux de fĂ©tus. Ce qui a engendrĂ© ce que je suis. Câest le principe fondamental de lâĂglise de lâĂmergence.â
âJe ne suis pas seul dans ce cas. Au moment oĂč nous parlons, des enfants sont prĂȘts Ă naitre de par le Monde, avec la connaissance quâils sont le fruit de la multitude. Nous sommes lĂ au dehors, nous existons, mais vous ne le savez pas encore.â
Eh bien merci pour ce temoignage trĂšs instructif, Ainserer Nohm. Ă bientĂŽt, sur notre antenne.
- âMerci, Michel.â
Vous ĂȘtes toujours Ă lâĂ©coute de ActualitĂ©s et DĂ©couvertes, sur Radio Culture. Le tĂ©moignage de Ainserer Nohm Ă©tait pour le moins surprenant. Pour ma part, je ne saurais dire sâil etait poĂ©tique ou Ă glacer le sang. Certainement les deux.
- âMichel, ton verre de Whisky est en train de glisser !â
Merci NoĂ«l. Je vais le finir de toute façon. Jâen ai bien besoin. Myriam, tu es bien songeuse. Quelque chose Ă dire sur ce que nous venons dâentendre ?
-
âJe me dis, pourquoi pas, tu vois ? La barriĂšre des idĂ©es entre les ĂȘtres humains tombe et affecte les naissances de certains individus. Un jour, peut-ĂȘtre que tous les enfants naitront avec cette conscience Ă©mergente, Ă dĂ©faut de meilleur terme. Si on suit cette logique, dans quelques dizaines de gĂ©nĂ©rations, est-ce que ces consciences nouvelles ne seront pas presque identiques par manque de diversitĂ© ? Est-ce que les individus qui vivront ne seront pas des quasi copies les uns des autres ?â Câest juste une idĂ©e comme ça. Mais quâadviendrait-il de lâHumanitĂ© si nous en venions Ă vivre dans cette homogĂ©nĂ©itĂ© ? Quâest-ce que tu en penses NoĂ«l ?"
-
âJe pense que tu devrais jouer ton tour pour que je te mette la pĂątĂ©.â
-
âNon mais sans dĂ©conner.â
-
âJe pense que si nous en arrivions Ă ce point en tant quâespĂšce, il y aurait une nouvelle Ă©mergence. De la multitude de points Ă©mergerait une entitĂ© unique, et nous en tant quâindividus, en serions les cellules qui la composent.â
 - âHmm.â
Câest beau, je vous aime les copains.
-
âNous aussi on tâaime Michel. Câest cool de passer lâapocalypse ensemble.â
-
âOuais câest chouette, mĂȘme si ça manque de strip-teaseuses.â
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âEt de gigolos, mec.â
Vous Ă©tiez Ă lâĂ©coute de ActualitĂ©s et DĂ©couvertes, sur Radio Culture. Comme tous les dimanches, nous vous rappelons les titres de lâactualitĂ© de fin du Monde, dans la camaraderie et la bonne humeur.
Je vous dis Ă dimanche prochain.
Peut-ĂȘtre.
Shutdown
Reflet De Lune a grandi dans un monde de lĂ©gendes et dâhistoires surnaturelles.
Elle a Ă©tĂ© bercĂ©e depuis lâenfance de comptes oĂč les silhouettes qui peuplaient son monde nâexistaient alors pas. Ces silhouettes Ă©taient autrefois des rochers, des arbres, et mĂȘme dâautres humains.Â
Au courant de sa vie, les silhouettes animées ont toujours vécu au sein de la tribu de Reflet De Lune. Mais elle et le reste de son clan gardÚrent toujours leur distance respectueuse, de peur que ces esprits ne leur jettent un mauvais sort.
Dans ces comptes passĂ©s de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration, il fut un temps oĂč chacun pouvait sauter de toutes ses forces et retomber au mĂȘme instant, sans peur de dĂ©river et dĂ©river encore, de ne jamais pouvoir redescendre.
Reflet de lune a racontĂ© ces histoires Ă ses deux enfants Ă son tour. Un passĂ© ou les fleurs, les animaux, les fruits pouvaient Ă©mettre des couleurs qui ne pouvaient ĂȘtre vues par lâĆil. OĂč le sol accrochait sous les pieds, et oĂč lâon pouvait courir Ă loisir, jusquâĂ avoir peine Ă respirer. Toutes les nuits au coin du feu, elle leur a racontĂ© tout cela, jusquâĂ que leurs petites paupiĂšres deviennent lourdes et quâelle puisse les porter jusquâĂ leur couche.
SecrÚtement, Reflet De Lune aurait bien voulu vivre dans ces temps immémoriaux et mystérieux.
OĂč le ciel, lorsque le soleil disparaissait Ă lâhorizon, Ă©tait dâun beau noir constellĂ© de point blancs. Et seulement de points blancs. Ou le soleil passait au-dessus de leurs tĂȘtes dans un dĂŽme de pur azur.
Il fut un temps autrefois mĂȘme, oĂč des Ă©trangers passaient au loin, traversaient la forĂȘt en bateau ou a pied, et oĂč le reste de son clan les observait en silence. Seuls les ainĂ©s se souviennent de ces rencontres. Et depuis deux gĂ©nĂ©rations, il nây a eu nul autre que sa tribu.
Et lâhomme immortel.
Une lĂ©gende raconte que lâhomme immortel est venu une premiĂšre fois, bien avant que le plus vieil ainĂ© ne soit nĂ©. Ses ancĂȘtres ont essayĂ© de le chasser. Les guerriers lâont transpercĂ© de lances et de flĂšches, et lâhomme immortel nâa rien fait en retour. Il a attendu que les plus vaillants de ses ancĂȘtres fatiguent, aprĂšs des jours et des nuits dâattaques acharnĂ©es. Puis, il est restĂ©.
Lâhomme immortel vient et part, parfois durant plusieurs gĂ©nĂ©rations. Quand il vient, il apporte des cadeaux. Il apprend Ă parler la langue. Il rĂ©pare les huttes, confectionne des nouveaux hamacs. Puis, comme il est venu, il disparait un beau matin. Et la lĂ©gende sâentretient jusquâĂ sa prochaine arrivĂ©e.
Lâhomme immortel Ă©tait arrivĂ© au village en lâabsence de Reflet De Lune et elle aurait dĂ» se sentir honorĂ©e dâavoir ce privilĂšge.
Il y a quelques cycles jour nuit, elle Ă©tait partie au point dâeau avec ses sĆurs. Lorsquâelles Ă©taient revenues les bras lourds de seaux, riant et chantonnant, elle lâavait vu pour la premiĂšre fois, debout, au centre du village. Il avait souri timidement aux autres habitants tout en caressant la tĂȘte des plus jeunes.
Reflet De Lune aurait dû se sentir honorée, mais elle fut soudainement inquiÚte.
Lâhomme immortel sourit allĂšgrement dans les comptes, il communique, parfois hilare.Â
Or ce jour-lĂ , il partit sâassoir sur le rocher le plus en amont de leur village, les traits Ă©maciĂ©s, le dos courbĂ© de fatigue. Il ferma les yeux et arrĂȘta de bouger.
Si lâhomme immortel est las et apathique, quel mal invisible se balance au-dessus de leurs tĂȘtes Ă tous, pensa-t-elle.
Reflet De Lune a grandi dans un monde peuplĂ© dâesprits et de magie. De rĂšgles invisibles changeantes au bon vouloir dâĂȘtres supĂ©rieurs capricieux. De rituels et de chansons, de recettes de purification des intĂ©rieurs et des corps. De chaman en communication avec des entitĂ©s malĂ©fiques, bĂ©nĂ©fiques et unanimement intraitables.
Elle a connu tout cela, toute son existence. Le sang de ses ancĂȘtres, guerriers et survivants coule dans ses veines. Elle nâa jamais eu peur de ce que la vie peut apporter.
Elle Ă©tait prĂȘte lorsque ce monde dâentitĂ©s omnipotentes, de sorts et de malĂ©dictions se dĂ©chaina. Tous le furent. Tous furent braves face Ă la disparition du ciel.Â
Lorsque le dernier soupçon dâazur disparu du dĂŽme cĂ©leste, lorsquâil fut teintĂ© de la mĂȘme couleur que les esprits silhouettes, sa tribu chanta.
Des chansons cĂ©lĂ©brant la vie, les enfants en bonne santĂ© et les rĂ©coltes prospĂšres. Pour les plus petits, des berceuses racontant lâhistoire du voyage de petites fourmis et de familles de grenouilles.
Il y eut en ces temps-lĂ beaucoup de danse autour du feu. Beaucoup de jeux pour les enfants. Beaucoup de rires.
Lorsque les noms disparurent, les membres de sa tribu furent incapables de sâappeler entre eux. Mais fidĂšles Ă leur chaleur ancestrale, le langage universel du cĆur pris la relĂšve et tous se rĂ©confortĂšrent dâembrassades chaleureuses.Â
Un jour, il ne fut plus question de frĂšres ni sĆurs, ni de pĂšre ni de mĂšre. Ni dâami, ni dâamant.
Des petites entitĂ©s commencĂšrent Ă courir terrifiĂ©es, glisser, se heurter contre les genoux du premier adulte alentours, en pleurs. Mais la protagoniste ne pu se souvenir du lien qui lâunissait Ă eux. Si supposĂ©ment un tel lien eut autrefois existĂ©.
Puis, cela arriva tout-a-coup. Les tĂȘtes disparurent.Â
Bien que dĂ©pourvue dâyeux, la protagoniste pu voir autour dâelle tous les corps Ă©tĂȘtĂ©s. Plus exactement, lâinformation de ces corps alentours. Les petites entitĂ©s accrochĂ©es Ă ses jambes, des cous attachĂ©s Ă des Ă©paules, en mouvement comme des vers, tournĂ©s vers elle.Â
Elle rejeta de toutes ses forces les petits corps et poussa un cri animal qui ne sorti toutefois jamais de cette bouche inexistante.Â
Enfin, lâinformation du Monde autour dâelle disparu. Vint le tour des sensations, de chacun de ses membres, de son corps.
Un instant, avait-elle jamais eu un corps ? Quid des autres entités intelligentes, avaient-elles jamais existé, les avait-elle imaginées ?
Elle se remĂ©mora un poĂšme quâune autre entitĂ© lui avait rĂ©citĂ© il y a longtemps en lui caressant les cheveux.
Quâest-ce que signifie cheveux ? Est-ce que cheveux a existĂ© Ă©galement ?
Ce poĂšme, avait un Ă©trange poids significatif, que lâintelligence ne put sâexpliquer. Mais elle sentit lâurgence de le rĂ©citer encore et encore, dans un fil logorrĂ©e qui ne devait ĂȘtre en aucun cas rompu. Alors elle le rĂ©cita.
Viendront les pluies, viendra le silence.
Viendront les pleurs, viendra la tendresse.
Viendront les Ă©tĂ©s, viendra le sourire,Â
Tant que je suis humain,Â
Viendront les lendemains.
Jâexiste,
Je suis en vie.
Viendront les pluies, viendra le silence.Â
Viendront les pleurs, viendra la tendresse.
Viendront les Ă©tĂ©s, viendra le sourire,Â
Tant que je suis humain,Â
Viendront les lendemains.
Jâexiste,
Je suis en vie.
Viendront les pluies, viendra la tendresse.
Tant que je suis humain.
Viendront les lendemains.
Jâexiste.
Je suis en vie.
Viendra la tendresse.
Je suis humain.
Jâexiste.
Je suis en vie.
Humain.Â
Jâexiste.
Je suis en vie.
Jâexiste.
Je suis.
Jâexiste.
Je suis.
Je suis.
Je.
Sauvegarde
Un bruit de porte qui claque doucement.
Lâodeur du maĂŻs emplit sereinement le fond de lâair de dĂ©but de soirĂ©e. Il a fait chaud. Il fait toujours chaud.
Un bruit de chaise en bois qui craque sous le poids dâun homme.
Le bruit dâun livre quâon ouvre. Son Ă©chancrure est usĂ©e et jaunĂątre.
Il est posĂ© entre deux mains sĂšches et noueuses, comme lâĂ©corce dâun vieux Queñoales, tremblantes comme ses feuilles au vent.
Les doigts connaissent trop bien le livre. Ils caressent la surface des pages de-ci, de-lĂ , au hasard. Comme sâils cherchaient Ă dĂ©couvrir entre deux lignes, un texte cachĂ©, destinĂ© seul Ă lâhumain qui le lit.
Les mains sâarrĂȘtent sur un extrait. Elles lâont dĂ©jĂ fait, tant de fois.
âLorsquâun systĂšme est trop dĂ©faillant, son administrateur restaure une ancienne sauvegarde. Mais est-ce quâil existe une telle sauvegarde pour la fibre mĂȘme de notre rĂ©alitĂ© ?
Si la combinaison de tous les Ă©lectrons et photons qui compose notre Univers Ă©tait capturĂ©e un instant, Ă un moment oĂč le Bit Rot nâavait pas commencĂ©. Avant que lâinformation ne se dĂ©grade et disparaisse. Quel moment cela aurait-il pu ĂȘtre ?â
âNous tous en tant quâespĂšce, aurions-nous dĂ©jĂ commencĂ© Ă exister ?â
âSi tout venait Ă se jouer de nouveau, dans une symphonie sans dissonance, cette fois. Toi qui es si loin, mâaurais-tu connu ? Mâaurais-tu aimĂ© ?â
âOu lâhistoire que nous partageons est-elle elle-mĂȘme, le fruit de lâimperfection de ce Monde ?â
âY a-t-il moyen de le savoir ?â
âEt aprĂšs tout, dans la multitude, le chaos et lâordre. OĂč les corps se heurtent et sâĂ©loignent. OĂč tout existe mais nâa aucun sens. Cela a-t-il une quelconque importanceâŠâ
Le reste du texte se brouille. Deux gouttes sont tombĂ©es sur la page, mais il ne pleut pas. Deux cercles imparfaits, dans un Monde qui ne lâest pas moins.
Le vent se lĂšve.
Bon, ben jâai de la lecture Ă rattraper ! La couleur fuschia ne mâa pas encore rĂ©vĂ©lĂ© tous ses mystĂšres.
Merci dâavoir postĂ© ça rĂ©guliĂšrement ici depuis douze semaine, jâespĂšre quâon aura dâautres projets Ă toi :)