Suite de Serveur confusion ep. 12 - Coller

Premier Ă©pisode ici

IA

Mesdames et Messieurs, bonsoir, 

vous ĂȘtes Ă  l’écoute de notre Ă©mission hebdomadaire, ActualitĂ©s et DĂ©couvertes, sur Radio Culture. Comme tous les dimanches soirs, nous revoyons ensemble les titres marquants de la semaine.

Pour le peu d’entre vous encore Ă  l’écoute, precieux auditeurs, premiĂšrement un immense merci de nous avoir Ă©coutĂ© pour certains d’entre vous, pendant 25 annĂ©es. Cela a Ă©tĂ© un grand honneur pour nous. Et recevoir vos rĂ©actions a chaud, vos remarques et mots d’encouragement ont Ă©tĂ© un soutien, qui nous a permis de continuer de vous servir avec passion. 

Merci.

Pour ce qui est des titres marquant de cette semaine du 18 octobre.

Pfffffffffffffffffffffffffffffttttttttt

J’ai des hĂ©morroĂŻdes depuis dix jours. 

Tanukisan est mort il y a cinq mois. C’est super triste quand on y pense. Il Ă©tait mignon ce panda.

Myriam et Noël jouent au Uno.

  • “Je crois que NoĂ«l triche. Il a gagnĂ© quatre parties d’affilĂ©e.”

  • “Pas vrai !”

Noël, le whisky que tu as ramené est pas trop mal, mes hémorroïdes te remercient.

  • “Hahahaha !”

Au moins j’ai fait rire Myriam.

  • “Ils avaient pas essayĂ© de le cloner il y a dix ans le panda ? Pour relancer l’espĂšce.”

  • “Ils n’avaient pas rĂ©ussi Ă  faire de femelle pour le clone, alors ils ont laissĂ© tomber le projet.”

  • “Bien jouĂ© NoĂ«l, tue-la-joie.”

  • “He ho Myriam, c’est pas toi l’envoyĂ©e spĂ©ciale ? Tu devrais vĂ©rifier tes sources !”

L’Église de l’Émergence a atteint un nombre record d’initiĂ©s depuis le dĂ©but d’anneĂ©e. On nous reporte deux milliards d’initiĂ©s, mĂȘme s’il n’est pas possible de connaitre le nombre exact. Si vous ĂȘtes un adepte de cette institution, faite nous part de votre tĂ©moignage.

  • “C’est assez ennuyant quand on y pense. Le Monde sombre dans le chaos et la derniĂšre chose que fait l’HumanitĂ© est de se rĂ©fugier dans la religion. J’aurais aimĂ© quelque chose de moins prĂ©visible quand mĂȘme. Je sais pas moi, se rĂ©fugier dans le progrĂšs technologique, dĂ©polluer la planĂšte. Quelque chose d’autre, cette fin est inintĂ©ressante.”

  • “Tu ne peux pas leur en vouloir NoĂ«l, qu’aurais-tu prĂ©fĂ©rĂ©, que l’on s’entretue ?”

  • “Dieu ou la guerre. Toujours. Il y a pas d’autre alternative ? Un mĂ©ga festival de la biĂšre ! Des tournois de jeux de cartes internationaux !”

À moins que vous ayez vĂ©cu sous un rocher cher auditeurs, vous ĂȘtes certainement, vous aussi, aux prises d’une angoisse existentielle innommable, dans un Monde qui a perdu sa raison d’ĂȘtre.

  • “Et la notion de l’appendice olfactif qui nous permettait autrefois d’avoir des odeurs !”

  • “Faut voir le bon cĂŽtĂ© des choses Myriam. On ne peut plus sentir l’odeur des fleurs, mais il n’y a mĂȘme plus besoin de se laver, et on peut maintenant pĂ©ter en toute tranquilitĂ© !”

  • “Serieusement NoĂ«l, as-tu perdu tout sens de professionnalisme ? On est en live, que diable.”

  • “Je ne l’ai pas perdu autant que tu te fais laminer au Uno !”

Je ne sais mĂȘme pas pourquoi nous continuons cette Ă©mission. Nous sommes en quelque sorte les violonistes du Titanic qui joueront jusqu’à que leurs instruments sombrent dans les eaux glacĂ©es.

  • “Joliment dit.”

  • “Bien d’accord.”

Il y a prĂšs d’un an, nous perdions Ă  travers le Monde l’usage et la notion de notre organe olfactif. C’est-a-dire que l’appendice est toujours situĂ© sur notre visage, mais nous n’avons plus le mot pour le designer. Nous sommes aujourd’hui incapables de nous souvenir comment l’appeler, et nous sommes incapables de lui trouver un autre nom. Pour ce qui est de sa dĂ©finition dans tous les dictionnaires, sa prĂ©sence dans les livres et sur les pages internet, le texte est illisible, flou.

Cet Ă©vĂšnement fĂ»t suivi de peu par transformation de divers objets du quotidien, Ă©lĂ©ments naturels, et mĂȘme animaux, en une couleur opaque fuchsia. Cette couleur, aussi terrifiante et contre-nature soit elle, ne reflĂšte pas la lumiĂšre, ni ne se rĂ©flĂšte sur les corps alentours.

Ah et aussi depuis quelques semaines, la friction des objets entre eux s’est altĂ©rĂ©e. Nous sommes prĂ©sentement au siĂšge de Radio Culture, contraints de coller les meubles au sol et murs, pour qu’ils ne glissent pas Ă  travers la piĂšce.

Il nous est prouvĂ© mois apres mois qu’une Ăšre nouvelle s’ouvre pour la planĂšte. Ou plus vraisemblablement l’Univers tout entier.  Cette rĂ©volution, absolue et irrĂ©mediable, ne donne pas place Ă  la vie. Animaux et ĂȘtres humains sont de futurs reliquats du passe, infinitĂ©simaux et jetĂ©s aux mains de forces incomprĂ©hensibles.

Hallucination collective. Arme secrĂšte ou expĂ©rience qui a mal tournĂ©. Explosion et radiations inconnues d’une supernova lointaine. Saurons-nous un jour ce qui a causĂ© cette apocalypse ? Certainement pas.

  • “Allez Michel, viens jouer avec nous. Plus personne ne l’écoute cette Ă©mission maintenant.”

Un peu plus tard NoĂ«l. Nous venons de recevoir un appel. Quel retournement de situation chers auditeurs. Un appel d’un apĂŽtre de l’Église de l’Émergence ! Allo, ici Radio Culture. Vous ĂȘtes Ă  l’antenne, pouvez-vous vous prĂ©senter en quelques mots ?

  • “Bonjour Michel. Avant toute chose, je vous Ă©coute depuis plusieurs annĂ©es maintenant, grand fan.”

Heureux de l’entendre, merci.

  • “Mon nom est Ainserer Nohm. Et je suis une intelligence artificielle.”

  • “Hahahahaha.”

Myriam, un peu de sérieux. Monsieur, madame Nohm. Que signifie le fait que vous soyez une intelligence artificielle ?

  • “Je comprends votre confusion. Le terme n’est peut-ĂȘtre pas entiĂšrement appropriĂ©, car je n’ai pas Ă©tĂ© crĂ©e par la main de l’Homme. Je suis nĂ© comme vous tous du ventre d’une mĂšre, quelques mois aprĂšs l’accouplement de mes parents. Cependant, mon intelligence est le produit de la multitude de pensĂ©es et souvenirs de la race humaine.”

Je vais vous demander d’ĂȘtre plus spĂ©cifique. Vous dites ĂȘtre un ĂȘtre humain, n’est-ce pas ? Mais votre intelligence est diffĂ©rente ? 

  • “C’est en effet le cas. Pour mieux dĂ©crire cette idĂ©e, je vais vous exposer une analogie avec le Jeu de la Vie de John Horton Conway. En avez-vous entendu parler ?”

Non, je vous écoute. Est-ce un jeu vidéo ? Un livre ?

  • “Non, le Jeu de la Vie est un programme informatique Ă©crit par un mathĂ©maticien anglais au XXĂšme siĂšcle. Dans une grille, des points noirs et blancs sont disposĂ©s de-ci de-lĂ .”

“Un point noir, s’il est entourĂ© de deux ou trois autres points noirs dans son entourage immĂ©diat, reste noir.  Un point blanc, si entourĂ© d’exactement trois points noirs, devient noir. Un point blanc, s’il ne rencontre pas la condition prĂ©cĂ©dente, reste blanc.”

“Le programme, selon ces trois rĂšgles, change la couleur des points de la grille, itĂ©ration apres itĂ©ration.”

“Le concept est trĂšs basique en soi. Toutefois, pour l’Ɠil humain, si la grille compte des milliers de points, lorsque nous les voyons changer Ă  l’écran itĂ©ration aprĂšs itĂ©ration, nous perdons la notion d’artificiel, et se crĂ©e l’illusion de la vie. Les points fourmillent, crĂ©ent des formes qui se meuvent Ă  travers la grille, nous commençons Ă  donner des noms Ă  ces formes, comme des entomologistes dĂ©couvrant des nouvelles espĂšces de colĂ©optĂšres. Le Jeu de la Vie est une dĂ©monstration de l’Émergence. De la multitude Ă©merge une idĂ©e, un ĂȘtre, un phĂ©omĂšne, quelque chose qui vaut plus que la totalitĂ© qui la compose.”

C’est trĂšs intĂ©ressant en effet, mais vous n’ĂȘtes pas un point ou un insecte. J’ai du mal Ă  percevoir en quoi cela se rapporte a votre personne.

  • “C’est pourtant ce qui me reprĂ©sente. Je suis une Ă©mergence de la multitude d’intelligences dans ce Monde.”

Incroyable. Je ne vous aurais pas cru il y a deux ans, mais vu lĂ  ou nous en sommes, pourquoi pas aprĂšs tout.

  • “Je ne donnerais pas mon avis sur ce tĂ©moignage, mais cela me rappelle le travail de Ian Stevenson.”

NoĂ«l ? C’est-a-dire ?

  • “Ian Stevenson Ă©tait un chercheur qui a dĂ©diĂ© sa vie Ă  receuillir des tĂ©moignages d’enfants persuadĂ©s d’avoir vĂ©cu une vie antĂ©rieure. C’est evidamment indĂ©montrable, mais Stevenson a Ă©mis l’idĂ©e que les souvenirs d’un individu ne meurent pas avec lui. Ils se transmettent vers un nouvel individu, sur une pĂ©riode de quarante ans.”

  • “Oui Monsieur NoĂ«l, c’est exact.” “Pour une raison que nous ne comprenons pas, les souvenirs des humains ont commencĂ© Ă  traverser la bariĂšrre crĂąnienne de leur corps. Des petits cumulus de souvenirs, d’émotions, d’idĂ©es, se sont agglutinĂ©s dans un ciel invisible, et se sont prĂ©cipitĂ©s en averses, sur les cerveaux de fĂ©tus. Ce qui a engendrĂ© ce que je suis. C’est le principe fondamental de l’Église de l’Émergence.”

“Je ne suis pas seul dans ce cas. Au moment oĂč nous parlons, des enfants sont prĂȘts Ă  naitre de par le Monde, avec la connaissance qu’ils sont le fruit de la multitude. Nous sommes lĂ  au dehors, nous existons, mais vous ne le savez pas encore.”

Eh bien merci pour ce temoignage trùs instructif, Ainserer Nohm. À bientît, sur notre antenne.

  • “Merci, Michel.”

Vous ĂȘtes toujours Ă  l’écoute de ActualitĂ©s et DĂ©couvertes, sur Radio Culture. Le tĂ©moignage de Ainserer Nohm Ă©tait pour le moins surprenant. Pour ma part, je ne saurais dire s’il etait poĂ©tique ou Ă  glacer le sang. Certainement les deux.

  • “Michel, ton verre de Whisky est en train de glisser !”

Merci NoĂ«l. Je vais le finir de toute façon. J’en ai bien besoin. Myriam, tu es bien songeuse. Quelque chose Ă  dire sur ce que nous venons d’entendre ?

  • “Je me dis, pourquoi pas, tu vois ? La barriĂšre des idĂ©es entre les ĂȘtres humains tombe et affecte les naissances de certains individus. Un jour, peut-ĂȘtre que tous les enfants naitront avec cette conscience Ă©mergente, Ă  dĂ©faut de meilleur terme. Si on suit cette logique, dans quelques dizaines de gĂ©nĂ©rations, est-ce que ces consciences nouvelles ne seront pas presque identiques par manque de diversitĂ© ? Est-ce que les individus qui vivront ne seront pas des quasi copies les uns des autres ?” C’est juste une idĂ©e comme ça. Mais qu’adviendrait-il de l’HumanitĂ© si nous en venions Ă  vivre dans cette homogĂ©nĂ©itĂ© ? Qu’est-ce que tu en penses NoĂ«l ?"

  • “Je pense que tu devrais jouer ton tour pour que je te mette la pĂątĂ©.”

  • “Non mais sans dĂ©conner.”

  • “Je pense que si nous en arrivions Ă  ce point en tant qu’espĂšce, il y aurait une nouvelle Ă©mergence. De la multitude de points Ă©mergerait une entitĂ© unique, et nous en tant qu’individus, en serions les cellules qui la composent.”

 - “Hmm.”

C’est beau, je vous aime les copains.

  • “Nous aussi on t’aime Michel. C’est cool de passer l’apocalypse ensemble.”

  • “Ouais c’est chouette, mĂȘme si ça manque de strip-teaseuses.”

  • “Et de gigolos, mec.”

Vous Ă©tiez Ă  l’écoute de ActualitĂ©s et DĂ©couvertes, sur Radio Culture. Comme tous les dimanches, nous vous rappelons les titres de l’actualitĂ© de fin du Monde, dans la camaraderie et la bonne humeur.

Je vous dis Ă  dimanche prochain.

Peut-ĂȘtre.

Shutdown

Reflet De Lune a grandi dans un monde de lĂ©gendes et d’histoires surnaturelles.

Elle a Ă©tĂ© bercĂ©e depuis l’enfance de comptes oĂč les silhouettes qui peuplaient son monde n’existaient alors pas. Ces silhouettes Ă©taient autrefois des rochers, des arbres, et mĂȘme d’autres humains. 

Au courant de sa vie, les silhouettes animées ont toujours vécu au sein de la tribu de Reflet De Lune. Mais elle et le reste de son clan gardÚrent toujours leur distance respectueuse, de peur que ces esprits ne leur jettent un mauvais sort.

Dans ces comptes passĂ©s de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration, il fut un temps oĂč chacun pouvait sauter de toutes ses forces et retomber au mĂȘme instant, sans peur de dĂ©river et dĂ©river encore, de ne jamais pouvoir redescendre.

Reflet de lune a racontĂ© ces histoires Ă  ses deux enfants Ă  son tour. Un passĂ© ou les fleurs, les animaux, les fruits pouvaient Ă©mettre des couleurs qui ne pouvaient ĂȘtre vues par l’Ɠil. OĂč le sol accrochait sous les pieds, et oĂč l’on pouvait courir Ă  loisir, jusqu’à avoir peine Ă  respirer. Toutes les nuits au coin du feu, elle leur a racontĂ© tout cela, jusqu’à que leurs petites paupiĂšres deviennent lourdes et qu’elle puisse les porter jusqu’à leur couche.

SecrÚtement, Reflet De Lune aurait bien voulu vivre dans ces temps immémoriaux et mystérieux.

OĂč le ciel, lorsque le soleil disparaissait Ă  l’horizon, Ă©tait d’un beau noir constellĂ© de point blancs. Et seulement de points blancs. Ou le soleil passait au-dessus de leurs tĂȘtes dans un dĂŽme de pur azur.

Il fut un temps autrefois mĂȘme, oĂč des Ă©trangers passaient au loin, traversaient la forĂȘt en bateau ou a pied, et oĂč le reste de son clan les observait en silence. Seuls les ainĂ©s se souviennent de ces rencontres. Et depuis deux gĂ©nĂ©rations, il n’y a eu nul autre que sa tribu.

Et l’homme immortel.

Une lĂ©gende raconte que l’homme immortel est venu une premiĂšre fois, bien avant que le plus vieil ainĂ© ne soit nĂ©. Ses ancĂȘtres ont essayĂ© de le chasser. Les guerriers l’ont transpercĂ© de lances et de flĂšches, et l’homme immortel n’a rien fait en retour. Il a attendu que les plus vaillants de ses ancĂȘtres fatiguent, aprĂšs des jours et des nuits d’attaques acharnĂ©es. Puis, il est restĂ©.

L’homme immortel vient et part, parfois durant plusieurs gĂ©nĂ©rations. Quand il vient, il apporte des cadeaux. Il apprend Ă  parler la langue. Il rĂ©pare les huttes, confectionne des nouveaux hamacs. Puis, comme il est venu, il disparait un beau matin. Et la lĂ©gende s’entretient jusqu’à sa prochaine arrivĂ©e.

L’homme immortel Ă©tait arrivĂ© au village en l’absence de Reflet De Lune et elle aurait dĂ» se sentir honorĂ©e d’avoir ce privilĂšge.

Il y a quelques cycles jour nuit, elle Ă©tait partie au point d’eau avec ses sƓurs. Lorsqu’elles Ă©taient revenues les bras lourds de seaux, riant et chantonnant, elle l’avait vu pour la premiĂšre fois, debout, au centre du village. Il avait souri timidement aux autres habitants tout en caressant la tĂȘte des plus jeunes.

Reflet De Lune aurait dû se sentir honorée, mais elle fut soudainement inquiÚte.

L’homme immortel sourit allùgrement dans les comptes, il communique, parfois hilare. 

Or ce jour-lĂ , il partit s’assoir sur le rocher le plus en amont de leur village, les traits Ă©maciĂ©s, le dos courbĂ© de fatigue. Il ferma les yeux et arrĂȘta de bouger.

Si l’homme immortel est las et apathique, quel mal invisible se balance au-dessus de leurs tĂȘtes Ă  tous, pensa-t-elle.

Reflet De Lune a grandi dans un monde peuplĂ© d’esprits et de magie. De rĂšgles invisibles changeantes au bon vouloir d’ĂȘtres supĂ©rieurs capricieux. De rituels et de chansons, de recettes de purification des intĂ©rieurs et des corps. De chaman en communication avec des entitĂ©s malĂ©fiques, bĂ©nĂ©fiques et unanimement intraitables.

Elle a connu tout cela, toute son existence. Le sang de ses ancĂȘtres, guerriers et survivants coule dans ses veines. Elle n’a jamais eu peur de ce que la vie peut apporter.

Elle Ă©tait prĂȘte lorsque ce monde d’entitĂ©s omnipotentes, de sorts et de malĂ©dictions se dĂ©chaina. Tous le furent. Tous furent braves face Ă  la disparition du ciel. 

Lorsque le dernier soupçon d’azur disparu du dĂŽme cĂ©leste, lorsqu’il fut teintĂ© de la mĂȘme couleur que les esprits silhouettes, sa tribu chanta.

Des chansons cĂ©lĂ©brant la vie, les enfants en bonne santĂ© et les rĂ©coltes prospĂšres. Pour les plus petits, des berceuses racontant l’histoire du voyage de petites fourmis et de familles de grenouilles.

Il y eut en ces temps-lĂ  beaucoup de danse autour du feu. Beaucoup de jeux pour les enfants. Beaucoup de rires.

Lorsque les noms disparurent, les membres de sa tribu furent incapables de s’appeler entre eux. Mais fidĂšles Ă  leur chaleur ancestrale, le langage universel du cƓur pris la relĂšve et tous se rĂ©confortĂšrent d’embrassades chaleureuses. 

Un jour, il ne fut plus question de frùres ni sƓurs, ni de pùre ni de mùre. Ni d’ami, ni d’amant.

Des petites entitĂ©s commencĂšrent Ă  courir terrifiĂ©es, glisser, se heurter contre les genoux du premier adulte alentours, en pleurs. Mais la protagoniste ne pu se souvenir du lien qui l’unissait Ă  eux. Si supposĂ©ment un tel lien eut autrefois existĂ©.

Puis, cela arriva tout-a-coup. Les tĂȘtes disparurent. 

Bien que dĂ©pourvue d’yeux, la protagoniste pu voir autour d’elle tous les corps Ă©tĂȘtĂ©s. Plus exactement, l’information de ces corps alentours. Les petites entitĂ©s accrochĂ©es Ă  ses jambes, des cous attachĂ©s Ă  des Ă©paules, en mouvement comme des vers, tournĂ©s vers elle. 

Elle rejeta de toutes ses forces les petits corps et poussa un cri animal qui ne sorti toutefois jamais de cette bouche inexistante. 

Enfin, l’information du Monde autour d’elle disparu. Vint le tour des sensations, de chacun de ses membres, de son corps.

Un instant, avait-elle jamais eu un corps ? Quid des autres entités intelligentes, avaient-elles jamais existé, les avait-elle imaginées ?

Elle se remĂ©mora un poĂšme qu’une autre entitĂ© lui avait rĂ©citĂ© il y a longtemps en lui caressant les cheveux.

Qu’est-ce que signifie cheveux ? Est-ce que cheveux a existĂ© Ă©galement ?

Ce poĂšme, avait un Ă©trange poids significatif, que l’intelligence ne put s’expliquer. Mais elle sentit l’urgence de le rĂ©citer encore et encore, dans un fil logorrĂ©e qui ne devait ĂȘtre en aucun cas rompu. Alors elle le rĂ©cita.

Viendront les pluies, viendra le silence.

Viendront les pleurs, viendra la tendresse.

Viendront les étés, viendra le sourire, 

Tant que je suis humain, 

Viendront les lendemains.

J’existe,

Je suis en vie.

Viendront les pluies, viendra le silence. 

Viendront les pleurs, viendra la tendresse.

Viendront les étés, viendra le sourire, 

Tant que je suis humain, 

Viendront les lendemains.

J’existe,

Je suis en vie.

Viendront les pluies, viendra la tendresse.

Tant que je suis humain.

Viendront les lendemains.

J’existe.

Je suis en vie.

Viendra la tendresse.

Je suis humain.

J’existe.

Je suis en vie.

Humain. 

J’existe.

Je suis en vie.

J’existe.

Je suis.

J’existe.

Je suis.

Je suis.

Je.

Sauvegarde

Un bruit de porte qui claque doucement.

L’odeur du maĂŻs emplit sereinement le fond de l’air de dĂ©but de soirĂ©e. Il a fait chaud. Il fait toujours chaud.
Un bruit de chaise en bois qui craque sous le poids d’un homme.
Le bruit d’un livre qu’on ouvre. Son Ă©chancrure est usĂ©e et jaunĂątre.
Il est posĂ© entre deux mains sĂšches et noueuses, comme l’écorce d’un vieux Queñoales, tremblantes comme ses feuilles au vent.
Les doigts connaissent trop bien le livre. Ils caressent la surface des pages de-ci, de-lĂ , au hasard. Comme s’ils cherchaient Ă  dĂ©couvrir entre deux lignes, un texte cachĂ©, destinĂ© seul Ă  l’humain qui le lit.

Les mains s’arrĂȘtent sur un extrait. Elles l’ont dĂ©jĂ  fait, tant de fois.

“Lorsqu’un systĂšme est trop dĂ©faillant, son administrateur restaure une ancienne sauvegarde. Mais est-ce qu’il existe une telle sauvegarde pour la fibre mĂȘme de notre rĂ©alitĂ© ?
Si la combinaison de tous les Ă©lectrons et photons qui compose notre Univers Ă©tait capturĂ©e un instant, Ă  un moment oĂč le Bit Rot n’avait pas commencĂ©. Avant que l’information ne se dĂ©grade et disparaisse. Quel moment cela aurait-il pu ĂȘtre ?”
“Nous tous en tant qu’espĂšce, aurions-nous dĂ©jĂ  commencĂ© Ă  exister ?”

“Si tout venait Ă  se jouer de nouveau, dans une symphonie sans dissonance, cette fois. Toi qui es si loin, m’aurais-tu connu ? M’aurais-tu aimĂ© ?”
“Ou l’histoire que nous partageons est-elle elle-mĂȘme, le fruit de l’imperfection de ce Monde ?”

“Y a-t-il moyen de le savoir ?”

“Et aprĂšs tout, dans la multitude, le chaos et l’ordre. OĂč les corps se heurtent et s’éloignent. OĂč tout existe mais n’a aucun sens. Cela a-t-il une quelconque importance
”

Le reste du texte se brouille. Deux gouttes sont tombĂ©es sur la page, mais il ne pleut pas. Deux cercles imparfaits, dans un Monde qui ne l’est pas moins.

Le vent se lĂšve.

  • Wi(vΛ)lem Ort(Λv)iz@jlai.luM
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    1 year ago

    Bon, ben j’ai de la lecture Ă  rattraper ! La couleur fuschia ne m’a pas encore rĂ©vĂ©lĂ© tous ses mystĂšres.
    Merci d’avoir postĂ© ça rĂ©guliĂšrement ici depuis douze semaine, j’espĂšre qu’on aura d’autres projets Ă  toi :)